3.2 - Les limites de notre caractérisation initiale des figures-types d’éleveurs retenues pour étudier les transformations en actes du monde de l’élevage

Au regard de la question de la validité du genre d’analyse auquel nous nous sommes essayée, beaucoup plus problématique nous apparaît, rétrospectivement, le procédé utilisé pour définir l’échantillon d’éleveurs au près desquels nous avons mené nos enquêtes. Nous sommes, pour cela, passée par l’intermédiaire d’informateurs privilégiés ’extérieurs’ au métier mais directement intéressés à la définition de ce qu’il doit être. Ce choix a été effectué parce qu’il nous permettait, d’abord, d’acquérir au moindre coût une vue synthétique d’un monde pour nous au départ totalement inconnu et parce qu’il nous a semblé, ensuite et surtout, le plus approprié pour appréhender les activités d’élevage à partir du travail de ’normalisation’ auquel elles donnent lieu et des controverses qui animent ce travail.

Pour procéder à l’échantillonnage des ’cas de figure’ représentatifs d’une diversité de ce que changer peut vouloir dire, nous sommes ainsi passée par l’intermédiaire d’’experts’ avec le souci de nous assurer d’une certaine exhaustivité de ces cas de figure. Cependant, même si ces informateurs ont été choisis pour la diversité de points de vue et de positions vis-à-vis du monde de l’élevage dont ils pouvaient être porteurs, il n’en reste pas moins que cette diversité ne saurait être considérée comme garantissant à elle seule l’exhaustivité recherchée de la sorte. Cette démarche aboutit, en effet, à privilégier les agriculteurs les plus ’visibles’ depuis les positions tenues par les experts interrogés, ce qui constitue, assurément, une limite de taille pour notre projet. Là encore, cependant, il nous semble possible, à l’issue de ce travail, d’indiquer comment ce biais initial, et à nos yeux inévitable, dans la mesure où tout démarrage de recherche implique de tels a priori, pourrait être partiellement corrigé.

Notre dispositif de recherche a pu, en effet, être amélioré au fur et à mesure de son déroulement par le repérage, au cours même de nos rencontres avec les éleveurs, de cas de figure que notre enquête exploratoire ne nous avait pas permis d’identifier et auprès desquels nous avons été amenée à effectuer des entretiens ’complémentaires’. On peut alors penser qu’en poussant ce processus de repérage de proche en proche - et cela au delà de ce que nous avons pu faire dans le seul temps qui nous était imparti - il doit être possible de parvenir à une certaine saturation des données permettant de s’assurer d’une couverture acceptable de la diversité des différentes positions en jeu dans la transformation du monde de l’élevage.

Au terme de notre parcours, nous pensons donc que si la recherche que nous avons menée permet bien de rendre compte de la diversité de significations que les éleveurs peuvent donner à leur métier et des positions sociales qui correspondent à ces diverses significations, l’exploration de la manière dont ces significations et ces positions interagissent et peuvent trouver à se confronter suppose une analyse de l’état et des dynamiques des relations qui soutiennent l’exercice de ce métier plus fine que celle que nous avons menée. Si un réaménagement du dispositif de recherche que nous avons expérimenté, réaménagement permettant une meilleure définition des éleveurs à enquêter, d’une part, et une prise en compte plus rigoureuse de l’ensemble des ’dimensions’ d’informations à recueillir pour satisfaire aux exigences de la problématique que nous avons ici défendue, d’autre part, apparaît alors nécessaire, il nous semble bien envisageable, ce qui contribue à renforcer notre intérêt pour une approche à la fois compréhensive et située de la transformation d’un monde professionnel.

Cette approche nous semble d’autant plus pertinente, qu’elle permet de rendre compte de la dynamique d’un métier appréhendée dans toute son ’épaisseur’. S’inscrivant dans un courant de recherche qui vise à mieux rendre compte des significations que les individus donnent à leur activité de travail, compte tenu de la place qui est la leur dans certains champs professionnels caractérisés par une certaine structure et certaines tensions qui constituent le cadre de leurs (inter)actions, la thèse ici défendue se veut contribuer à alimenter les réflexions menées en sociologie pour trouver à croiser des traditions sociologiques trop fréquemment opposées.

C’est dans cette perspective, en tout cas, que nous avons cherché à montrer, d’abord, comment la ’sociologie rurale’ et la ’sociologie du travail’ pouvaient aboutir à certaines analyses convergentes quant à la problématique des identités professionnelles suscitées par une ’crise’ du travail et comment, ensuite, l’articulation entre une sociologie attentive aux rapports de travail, d’une part, et une sociologie interactionniste des professions, d’autre part, pouvait ouvrir des perspectives de recherche fécondes pour appréhender la transformation d’une profession en tenant compte de différents niveaux (’micro’ et ’macro’) d’appréhension du social.