1.2.2 Niveau de base

Rosch s’inspire des recherches anthropologiques développées dans les années soixante-dix et basées sur le modèle aristotélicien d’organisation des connaissances, selon lequel les objets du monde sont organisés en catégories hiérarchiques, reliées entre-elles par des relations d’inclusion. Berlin (1972) distingue cinq niveaux : le règne, la forme de vie, le genre, l’espèce et la variété. Ainsi peut-il situer sur cette échelle, le végétal, l’arbre, le chêne, le chêne vert, le chêne vert méditerranéen. Il avance que le niveau du genre est un niveau de dénomination privilégié pour les noms des plantes. Rosch parvient à ’psychologiser’ ces observations, en intégrant deux principes de la psychologie cognitive : le principe d’économie cognitive (déjà évoqué en introduction de ce chapitre) et le concept de ’cue validity’ ou validité des indices. Ce dernier est un principe probabiliste qui modélise de façon mathématique un niveau dans la taxonomie où les coupures peuvent être faites dans l’environnement. Dans une taxonomie, les catégories possédant un niveau d’abstraction élevé sont gratifiées d’un faible degré de validité des indices car elles partagent peu de traits en commun. Les catégories subordonnées possèdent également un faible degré de validité des indices car elles regroupent un grand nombre de traits qui permettent de différencier des catégories subordonnées (Rosch et al., 1976 ; p. 428). Entre les deux se situe un niveau où le degré de validité des indices est optimal et qui constitue le niveau de base où ces coupures peuvent être opérées, puisqu’il situe le niveau auquel les objets possèdent la probabilité maximale d’attributs communs.

Comme Rosch met en avant la capacité de percevoir visuellement un objet et l’interaction sensori-motrice du sujet et de son environnement pour asseoir sa théorie, elle est de facto obligée de prendre en compte l’expertise du sujet. En affirmant

‘’a) que le sujet peut ignorer (ou être indifférent ou inattentif) aux traits perceptifs, voire qu’il peut posséder un savoir à propos de ces traits mais en ignorer le degré d’intercorrélation et b) qu’il peut posséder un savoir sur ces traits perceptifs et leur intercorrélation mais en exagérer l’importance pour arriver à une corrélation totale (en attribuant des qualités propres à quelques membres, à toute une catégorie)’ (Rosch et al., 1976 ; p. 430). ’

De là se développe une interaction entre niveau de base, valide pour une majorité, et degré d’expertise d’un individu. Rosch intègre ces contradictions en arguant que

‘’pour toutes les taxonomies, il existe un niveau au-dessous duquel des différentiations plus fines ne peuvent pas constituer un niveau de base, indépendamment de la fréquence d’usage des objets et du degré d’expertise, simplement parce qu’en deçà de ce niveau, il n’existe pas un nombre d’attributs suffisant pour différencier les objets’ (ibid. p. 432). ’

Par ailleurs, l’expertise des sujets est souvent confinée à un domaine très spécifique, même à l’intérieur d’une catégorie.

En résumé le niveau de base est le niveau le plus général, pour lequel les sous-catégories appartenant à une catégorie donnée :

  • ont en commun un nombre important de propriétés

  • mettent en jeu des comportements identiques chez les sujets (impliquent des mouvements communs)

  • possèdent des caractéristiques perceptives communes au sens où elles présentent des similitudes de formes (pouvant être identifiées au moyen de dessins de formes moyennes).

Il n’en reste pas moins que :

‘’ des sujets ou cultures peuvent exagérer certaines structures de sorte que les attributs, mouvements ou caractéristiques formelles de quelques membres seulement peuvent être considérés comme étant les caractéristiques de l’ensemble’ (Rosch et al., 1976 ; p. 433). ’

C’est ce point expérimental soulevé par les discordances entre les réponses des sujets lors des tâches de jugement d’attributs qui va conduire à définir la notion de

‘’prototype des membres les plus caractéristiques de la catégorie’ (ibid.).’