1.3.4.1 Les odeurs

La catégorisation d’odeurs offre, à ce titre à travers des difficultés apparentes, plusieurs avantages par rapport aux classifications d’objets visuels. D’abord, contrairement au spectre lumineux, il n’existe pas de théorie qui décrive un spectre d’odeurs et qui permette d’identifier et de mesurer les stimuli olfactifs. Pour les odeurs, la ’réalité’ moléculaire est beaucoup plus complexe (Dubois & Rouby, 1997, Rouby & Sicard, 1997, Sicard et al., 1997). De plus, les cultures occidentales valorisent peu les connaissances à propos des catégories d’odeurs, en regard des connaissances développées à partir des catégories d’objets visuels. Enfin en français, comme dans les langues indo-européennes en général, il n’existe pas de termes spécifiques pour les odeurs, comme il en existe pour les couleurs.

Les résultats (David, 1997 ; David, Dubois & Rouby, 1997 ; Dubois & Rouby, 1997 ; Hilaire 2000b) montrent qu’on peut définir des catégories d’odeurs, mais que celles-ci sont dépendantes de contraintes psychologiques et linguistiques.

Sur le plan des représentations psychologiques, les catégories d’odeurs sont construites à partir de l’expérience (ou des expériences) des sujets, plutôt qu’à partir de similarités ’perceptuelles’ ou de connaissances théoriques.

Sur le plan des représentations linguistiques, l’absence de termes spécifiques conduit à une profusion de formes linguistiques différentes pour décrire les odeurs. Néanmoins, il existe une grande stabilité et une robustesse des odeurs en tant qu’expérience individuelle qui tranche avec une extrême variabilité inter-individuelle. Autrement dit,

‘’Language ‘does’ reflect odors as subjective experience, as effects of the world on the subject, rather than as ’objects’ in the world that could be collectively shared through the negotiated meaning of stable lexical form’ (Dubois, 2000, p. 44)’

Au-delà une étude de Dubois & Rouby (2001) s’appuie sur la catégorisation et la dénomination d’odeurs pour remettre en question la notion de ’veridical label’ (ou réponse correcte), dans les tâches de catégorisation d’odeurs. En effet, si l’on se place dans la perspective de recherche que l’on vient de poser, comment et pourquoi considérer une réponse comme correcte (’veridical’), qui supposerait que des noms spécifiques réfèrent à des odeurs ? En fait le terme ’veridical label’ est le terme attendu par l’expérimentateur, en tant que réponse évidente à une question posée dans un cadre expérimental donné. Pour les odeurs, il s’agira d’un montage complexe : le nom de l’objet communément reconnu supposé produire une odeur semblable à celle produite par l’échantillon présenté. Ce qui vaut de façon évidente pour les odeurs vaut aussi pour d’autres paradigmes expérimentaux, dans lesquels les sujets sont supposés maîtriser les règles implicites établies par l’expérimentateur. Ce phénomène prendra d’autant plus d’ampleur qu’il s’agira de sujets atteints de la maladie d’Alzheimer par exemple, et nécessite que l’on remette en question la notion de réponse erronée, ou encore de ’discours aberrant’, ce sur quoi nous reviendrons au chapitre 2. Par ailleurs, comme le soulignent Dubois et Rouby (2000), en quoi les réponses verbales des sujets seraient-elles plus aberrantes que les enregistrements en imagerie cérébrale à propos desquelles, la question du vrai ou du faux ne se pose pas, la seule question étant celle de l’interprétation de ces réponses ?