3.1.1 Norme et typicalité

Hampton (1997) montre qu’il existe un lien entre la probabilité d’inclusion et la typicalité des exemplaires. Les seuls exemplaires déviants sont ceux qui ne revêtent aucun caractère de familiarité (le ténia est un animal), ou qui se présentent sous les dehors d’une particularité de l’exemplaire (le jus d’orange est un fruit) et ceux qui possèdent l’apparence des éléments d’une catégorie tout en appartenant à une autre d’un point de vue technique (un requin est un poisson, opposé à une femme est un animal). De quoi Hampton (1997) déduit que les décisions d’inclusion sont basées sur les mêmes informations sémantiques que celles qui président aux jugements de typicalité des exemplaires à l’intérieur d’une catégorie.

‘’dans les faits, un individu décide d’inclure un exemplaire dans une catégorie, si le degré de similarité qu’entretient celui-ci avec le prototype de la catégorie dépasse un seuil donné. Du fait de la variabilité de ce seuil entre individus et selon les contextes et les circonstances, la probabilité d’inclusion augmente en fonction du lien qui existe la ressemblance sémantique d’un item donné avec les exemplaires typiques d’une catégorie donnée.’ Hampton, Dubois et Yeh, 1997, p. 3).’

Si l’on se réfère à Dubois et Resche-Rigon (1993), on voit bien là comment les tâches de catégorisation (décision d’appartenance, assortiment ou jugement de phrase) ont en réalité à voir avec la typicalité en tant que norme, psychologique (’norme du vrai’) ou linguistique (’sens commun’).

Partant, les protocoles qui tentent de faire la part entre les déficits d’accès à des représentations en mémoire sémantique (supposées intactes) et la détérioration de ces représentations, que nous avons décrits au chapitre 2, peuvent en réalité être réinterprétés en termes d’accès à une norme ou de méconnaissance (ou d’oubli ou de perte) d’une norme. Nous ne développerons pas davantage les liens que peut entretenir le concept de ’mémoire sémantique’ avec le ’sens commun’. Notons que Tulving (1983) décrit l’information contenue en mémoire sémantique comme ’des faits, des idées, des concepts en référence à l’univers et qui font l’objet d’un consensus social’.

De la même manière, une atteinte spécifique à une catégorie (ou à des catégories ’naturelles’ vs ’artefactuelles’) reflète-telle une réelle perte de l’information (au sens psychologique) relatif à une catégorie, ou plutôt la perte des formes verbales associées aux objets du monde, ou enfin l’incapacité du sujet à catégoriser en fonction de normes (psychologique et/ou linguistique) implicites aux protocoles élaborés par l’expérimentateur ? L’un et l’autre jouant le même jeu en interprétant les règles de manière différentes, on peut supposer que l’intention du patient n’est pas perçue par l’expérimentateur (voir Sabat (1994) pour les patients atteints de maladie d’Alzheimer, et Grossen (1989) pour le contrat implicite entre l’expérimentateur et le sujet).

La confusion par l’expérimentateur, entre les connaissances propres à un sujet et stockées dans une mémoire individuelle et des connaissances (norme admise), partagées par une communauté, conduit à discuter l’interprétation des réponses que les patients peuvent fournir lors d’une tâche de catégorisation. Surtout si les seules réponses prises en compte sont des ’réponses vraies’ et que les ’réponses fausses’ sont rejetées au rang de réponses aberrantes en référence au ’sens commun’.

A ce titre, l’exemple des études menées sur les catégories d’odeurs ou de bruits pour lesquelles, dans nos cultures, il n’existe pas de repères normés en linguistique comme en psychologie, peuvent s’avérer riches en enseignements.