6.6.5 A propos des critères de catégorisation

L’expérience de ’Chicago’ se donnait pour objectif de vérifier l’influence du contexte et de la catégorie sur l’extensibilité des critères d’inclusion. L’idée était que ceux-ci seraient plus ’stricts’ sous une consigne technique et plus ’larges’ sous une consigne pragmatique. Nous n’avons pas retrouvé ce résultat. Au contraire, les résultats sous ces deux consignes sont statistiquement identiques pour quatre échantillons sur cinq (’Chicago’, ’Saint-Etienne’, ’Lyon’et ’témoins’).

Les ’patients’ utilisent des critères plus larges que les sujets de tous les autres échantillons. Ils incluent davantage d’exemplaires sous une consigne technique et dans des proportions significativement moindres, sous les consignes linguistique et pragmatique, ce qui n’est le cas d’aucun des autres groupes pour lesquels, quel que soit le poids respectif de chaque condition, la consigne technique ne se différencie jamais de la consigne pragmatique. Ainsi les ’patients’ se comportent-ils d’une façon exactement inverse de celle attendue par Hampton, Dubois et Yeh (1997).

En résumé, d’un coté nous trouvons chez les sujets bien portants, une indifférenciation entre technique et pragmatique qui tend à valider l’existence des processus de figement décrits par Dubois et Resche-Rigon (1993, 1997b). De l’autre, les ’patients’ ne pouvant faire appel à des références techniques ou normatives en lien avec des connaissances socialisées sur les objets du monde, incluent davantage d’exemplaires lorsque le contexte devient normatif, alors que leurs critères deviennent plus stricts dès lors qu’on les encourage à faire appel à leurs représentations.

L’étude de l’influence globale des catégories renforce cette hypothèse. Chez les sujets bien portants, l’effet n’est observable que sur les exemplaires non-typiques. Les catégories qui les incitent à recourir à des critères familiarité : ’se mange’ et ’vit dans l’eau’ pour les ’poissons’ ; ’est en bois’ pour les ’meubles’, sont celles qui suscitent l’emploi de critères les plus stricts, et partant, encouragent à exclure davantage d’exemplaires. Au contraire, les catégories plus éloignées des connaissances des sujets (’sciences’ et ’sports’) poussent à utiliser des critères plus larges et à inclure ainsi plus d’exemplaires. Les catégories pour lesquelles les sujets peuvent avoir recours, selon les exemplaires tantôt à des critères de familiarité tantôt à une définition stricte, produisent des scores d’inclusion intermédiaires.

Ainsi, ce n’est pas le recours à des définitions strictes qui restreint la largeur des critères d’inclusion, mais plutôt la référence à des représentations plus stables, construites à partir d’interactions avec des objets familiers.

Pour les ’patients’, l’effet catégorie est essentiellement dû à un écart entre la catégorie ’sciences’ et les catégories ’fruits’ et ’insectes’. Les critères de catégorisation de ces sujets sont cependant peu différentiables. Néanmoins, l’étude de l’influence de la consigne pour chaque catégorie nous indique que la consigne pragmatique et celle qui incite à exclure davantage d’exemplaires dans six catégories sur huit (’fruits’, ’sciences’, ’sports’, ’insectes’ ’poissons’ et ’outils’). La figure 6-9 montre que les différences entre catégories sont en fait sous la dépendance de la consigne pragmatique. Cela revient à dire que le contexte de catégorisation est plus déterminant que la catégorie elle-même pour ce qu’il en est des critères des ’patients’, sauf pour les ’légumes’ et les ’meubles’ où les consignes technique et pragmatique sont indifférenciées. Pour ces deux catégories qui produisent des scores d’inclusion moyens (4ème et 5ème rang) les critères et le contexte de catégorisation sont extrêmement intriqués.

Hampton, Dubois et Yeh (1997) se sont limités à cette étude pour évaluer la qualité des critères utilisés par les sujets. La deuxième expérience dans laquelle ils ont demandé aux sujets d’expliciter leurs critères avait pour but d’attirer l’attention sur la consigne, et pas le recueil de ces critères. En outre, les résultats ont été sensiblement identiques à ceux de la première expérience. Ce qui conforte l’idée qu’il est nécessaire de recueillir les critères de catégorisation à l’insu des sujets, à l’aide d’un autre procédé.

Enfin, ces deux expériences s’appuyaient sur le postulat qu’un pourcentage plus élevé d’exemplaires inclus était en lien avec l’élargissement des critères d’inclusion. C’est certes une idée séduisante, mais qui ne nous renseigne pas sur le type de critères utilisé et partant, l’idée de ’plus ou moins grande largeur’ peut être discutée.

C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’analyser les critères d’inclusion utilisés par les témoins et les ’patients’.