7.3.4 Commentaire général

Les ’patients’ expriment globalement davantage de critères que les ’témoins’. Si les niveaux de production sont comparables entre les deux échantillons pour l’expression des connaissances socialisées, l’écart est important et significatif pour ce qui concerne les représentations. Ce qui signifie que les ’patients’ expriment globalement davantage de critères parce qu’ils expriment plus de représentations. Ainsi peut-on penser que les ’patients’ s’appuient davantage que les ’témoins’ sur des représentations d’objets pour effectuer une tâche de catégorisation.

Cette observation est renforcée par le fait que s’il existe une différence significative entre connaissances socialisées et représentations chez les ’patients’, c’est uniquement par l’influence de la consigne linguistique qui favorise la production des critères reflétant des connaissances socialisées (ce que tend à confirmer la comparaison des pourcentages de production des connaissances socialisées et représentations pour chaque groupe).

Par ailleurs la consigne linguistique incite les sujets (’témoins’ et ’patients’) à traiter la tâche de catégorisation comme une investigation de la signification de mot, plutôt que comme une investigation du caractère ontologique du monde lui-même.

Ce qui signifie que les ’patients’ ont tendance à produire autant de représentations que de connaissances socialisées lorsqu’ils catégorisent les objets du monde. Si le contexte les contraint à catégoriser des significations de mots, alors ils auront davantage tendance à s’appuyer sur des connaissances socialisées pour effectuer la tâche de catégorisation, en particulier à utiliser l’’inclusion catégorielle’ comme critère dominant.

Si l’influence de la consigne reste limitée chez les ’patients’, elle est plus nette chez les ’témoins’ pour lesquels il existe une différence significative entre la condition technique et les deux autres. Les ’témoins’ produisent significativement moins de critères sous la consigne technique. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant qu’ils produisent davantage de critères exprimant des connaissances socialisées, comme pouvait le laisser supposer l’hypothèse de Hampton, Dubois et Yeh (1997), selon laquelle il existe une influence de la consigne sur les choix des critères d’inclusion. L’influence de la consigne pragmatique renforce ce premier résultat. Celle-ci aurait dû conduire les sujets à utiliser des critères plus ’larges’ que la consigne technique, donc à produire plus de critères reflétant les représentations. Or il n’en est rien, la supériorité des connaissances socialisées sur les représentations demeure pour cette consigne. En réalité, on ne peut expliquer ce phénomène qu’en prenant en compte l’hypothèse avancée par Dubois (1996), d’une relation entre typicalité et connaissances socialisées. Moins la consigne est contraignante, plus les critères utilisés sont ’larges’ ou en référence avec le prototype, plus les ’témoins’ ont tendance à se référer à des connaissances socialisées pour effectuer la tâche de catégorisation.

L’étude de la catégorie n’apporte pas d’informations supplémentaires, par rapport à la robustesse de l’effet de consigne.

On peut donc conclure chez les ’patients’ à un effet solide d’une référence préférentielle à des représentations pour effectuer une tâche de catégorisation, qui résiste à l’effet de consigne et de catégorie.

Plusieurs critères ont particulièrement retenu notre attention. Il s’agit des critères ’inclusion catégorielle’, ’exclusion catégorielle’, ’script’, ’scène’ et ’affects’.

Nous avons vu et discuté la prépondérance du critère ’inclusion catégorielle’. Lors d’une tâche de catégorisation telle que celle que nous avons proposée à nos sujets, un tel phénomène peut apparaître trivial. Néanmoins, son influence sur nos résultats est importante, en ce sens qu’il regroupe à lui seul, chez les ’témoins’, la majeure partie des critères classés dans les connaissances socialisées. Ainsi, si nous reprenons l’analyse globale à partir d’ANOVA à un facteur portant sur les connaissances socialisées et les représentations, en prenant soin d’exclure du calcul les productions ayant trait à l’inclusion et l’’exclusion catégorielle’, on voit alors apparaître nettement une prédominance des représentations sur les connaissances socialisées chez les ’patients’ (F(1,574) = 10,882 ; p = .0010). En revanche, cette modification n’affecte pas la domination des connaissances socialisées sur les représentations chez les ’témoins’ (F(1,574) = 28,211 ; p = .0001).

De ce fait on voit apparaître la prééminence de ’script’ et de ’scène’ chez les ’patients’, qui deviennent alors le critère principal de différenciation entre les deux échantillons. Les ’patients’ ont davantage tendance à se placer dans une interaction physique avec les objets du monde, phénomène évoqué par Rosch (1976) comme une des bases de la catégorisation et sur lequel nous reviendrons en le complétant avec les travaux de Barsalou (1985 et 1998).

Enfin, il apparaît que le critère ’affect’ prête à discussion. En effet, même s’il est le support à l’expression d’un discours modal, il est néanmoins intéressant de constater que ce type de discours ne distingue pas significativement les ’témoins’ des ’patients’, même s’il se rencontre plus fréquemment chez ces derniers, comme le laisse prévoir la symptomatologie de la maladie. Il est probable qu’on puisse trouver sous ces manifestations, l’expression véritable d’états affectifs (peur des insectes etc.).

Ces résultats sont de nature à confirmer nos deux premières hypothèses :

  1. Lors d’une tâche d’inclusion catégorielle, les sujets atteints de la maladie d’Alzheimer emploient des stratégies de ’contextualisation’ semblables à celles que l’on peut observer lors de tâches de dénomination d’odeurs ou de bruits.

  2. La consigne et la catégorie influent sur les critères de catégorisation, de manière différente sur les critères utilisés par les sujets atteints de la maladie d’Alzheimer et les sujets témoins, puisque les ’patients’ sont moins sensibles à la consigne et à la catégorie que les ’témoins’.

Un dernier type d’analyse peut être précieux, dans l’étude des critères exprimés par les sujets est la constance de ces productions à travers un re-test. Il nous permettra en outre, de tester notre troisième hypothèse.