Chapitre 8 - Analyse des marques de la personne

8.1 Introduction

L’objectif de ce chapitre est d’analyser les manifestations en langue des processus de catégorisation utilisés par les sujets.

Nous tenterons de tester les hypothèses suivantes :

H7 : Le rapport des sujets aux objets du monde, se traduit dans le discours, lors d’une tâche d’inclusion catégorielle, par une utilisation différenciée des marques de la personne et notamment par une différence marquée entre le rapport individuel vs collectif.

H8 : L’implication du sujet par rapport à ce dont il parle est davantage marquée chez les sujets atteints de la maladie d’Alzheimer que chez les sujets ’témoins’.

H9 : Une différence marquée entre les groupes concernant le rapport individuel vs collectif reflète en réalité le recours à des stratégies référant à des représentations plutôt qu’à des connaissances socialisées.

Nous nous sommes pour cela appuyé sur les travaux menés par David (1997, 2000), David et al. (1997), dans les domaines olfactif, auditif et gustatif. Ces travaux tendent à identifier les structures cognitives construites dans différentes modalités sensorielles à partir de l’étude des formes linguistiques (David et al., 1997). Ils proposent une alternative aux recherches psycholinguistiques classiques (Rosh, 1978 ; Berlin et Kay, 1991) qui supposent :

Que la structure des catégories est fondée sur des propriétés d’ordre perceptif et que cette structure catégorielle constitue un ordre de détermination cognitif des structures linguistiques.

Que la relation entre les mots et les catégories (ou les objets du monde) est une relation d’ajustement (mapping), qui suppose un homomorphisme entre les plans d’organisation cognitif et linguistique.

David et d’autres auteurs (Dubois, 1991 ; Dubois, Resche-Rigon et Tenin, 1997) réfutent à la fois l’existence a priori d’un ordre de détermination entre les plans linguistique et cognitif, l’homomorphisme de ces deux plans et la suprématie du domaine visuel sur le mode d’organisation des catégories (cf. Chapitre 1). Il existe une difficulté pour les sujets à ’traduire’ leur expérience sensible en données verbales (David et al., 1997, p. 222). Ces résultats s’appuient sur l’analyse des procédés que les sujets mettent en oeuvre pour expliciter leurs représentations. En particulier ces études prennent en compte la manière dont sont construites les dénominations et les emplois des marques de la personne (ibid., p. 222).

Nous avons retenu de la méthodologie de David (1997), uniquement l’analyse des marques de la personne, car il nous semble que la constitution de notre corpus, centré sur l’expression des processus de catégorisation ne se prête pas à l’étude de la structure des réponses. En effet, l’étude des critères de catégorisation s’avère sans aucun doute beaucoup plus prolifique que l’étude de la structure des réponses, d’autant que la forme même du protocole, basé sur la répétition d’une même consigne à chaque item, réduit et standardise considérablement la mise en place des réponses des sujets au point qu’une telle étude révèlerait une typologie trop restreinte.

Nous étudierons en revanche l’effet de la consigne et de la catégorie qui peuvent, en variant le niveau de contrainte, conduire le sujet à modifier son rapport aux objets du monde et ainsi la manifestation de ce rapport dans la discours. Nous n’étudierons pas l’effet re-test, considérant qu’il n’existe aucune raison théorique ou expérimentale pour que les sujets modifient leur façon de s’exprimer au prétexte qu’on les soumette deux fois à la même tâche.

La pertinence des marques de la personne comme reflet du rapport que les individus entretiennent avec les objets du monde peut sans doute être discutable. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont considérées comme des indices pour évaluer le rapport d’un individu aux autres individus d’une part et à ce dont ils parlent d’autre part (David, 1997 ; David et al., 1997 ; Souchard, 1989).

Afin de vérifier nos hypothèses, notre objectif, par rapport à ces deux axes d’analyse est triple :

  • Montrer que le recours à des stratégies reflétant des représentations vs des connaissances socialisées doit se traduire dans le discours par une utilisation différenciée des marques de la personne et notamment par une différence marquée dans le rapport collectif ou individuel.

  • Confirmer, par l’étude de sujets atteints de maladie d’Alzheimer, que la traduction de l’implication du sujet par rapport à ce dont il parle est de nature à souligner que la subjectivité est la règle dans la construction de représentations catégorielles.

  • De ce fait, confirmer qu’on ne peut considérer que les exemplaires proposés aux sujets dans une tâche de catégorisation soient posés comme des objets du monde ni qu’il existe un homomorphisme entre ces objets et les mots (noms).