9.6 Les noms

L’étude de noms est primordiale dans le cadre de notre étude, puisqu’elle doit nous permettre d’évaluer les effets du manque du mot chez les ’patients’. Elle est également intéressante dans la mesure où les ’patients’ ne sont pas soumis à une tâche de dénomination, donc libérés de la contrainte de fournir un item lexical précis. Comment se traduit le manque de mots hors ce contexte spécifique de production lexicale ?

Nous avons vu plus haut que les ’témoins’ produisaient autant de verbes que de noms, alors que les ’patients’ produisent significativement plus de verbes que de noms (F(14,305) = 299,447 ; p = ,0064). En outre, les noms arrivent au cinquième rang des productions des classes grammaticales chez les ’patients’, alors qu’ils se situent à la deuxième place chez les ’témoins’. Cependant, si on considère le pourcentage de production des noms par rapport au nombre total de classes grammaticales produites, on obtient des valeurs identiques chez les ’patients’ et les ’témoins’ (9,7 % chez les ’témoins’ et 9,9 % chez les ’patients’). Autrement dit, si les pourcentages de productions sont identiques pour les deux échantillons, leur poids est différent, puisque les noms occupent la deuxième place chez les ’témoins’ et la cinquième chez les ’patients’.

Dans ces conditions, les deux échantillons emploient-il les mêmes types de productions nominales ? Nous avons pris le parti de considérer quatre classes de noms :

Les résultats de ce classement sont les suivants :

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Figure 45 : Graphe des moyennes d’occurrences pour les classes des noms.Comparaison Témoins / Patients, * = différence significative à p = .05
Tableau 53 : Résultats des ANOVA pour les moyennes d’occurrence des différentes classes des noms .Comparaison Témoins / Patients, * = différence significative à p = .05
Témoins Patients F(1,574) p
Noms exemplaires 2,576 7,035 87,223 0001*
Noms 2,521 5,312 35,267 0001*
Noms catégories 2,101 2,944 10,2 0015*
Noms autres cat. 0,444 0,753 5,726 0170*
Tableau 54 : Résultats des ANOVA entre les différentes classes de noms produites par les Témoins et les Patients. * = différence significative à p = .05.
Témoins Patients
F(3,1148) p F(3,1148) p
Noms exemplaires / Noms 24,716 8452 80,643 0001*
Noms exemplaires / Noms catégories 24,716 0948 80,643 0001*
Noms exemplaires / Noms autres cat. 24,716 0001* 80,643 0001*
Noms / Noms catégories 24,716 1401 80,643 0001*
Noms / Noms autres cat. 24,716 0001* 80,643 0001*
Noms catégories / Noms autres cat. 24,716 0001* 80,643 0001*

Il existe globalement une différence significative entre les moyennes d’occurrences pour chaque catégorie de noms.

Les ANOVA calculées, pour chaque échantillon, à partir de toutes les catégories de noms considérés comme une variable compacte révèle des ’patterns’ de production différents pour chaque échantillon.

Les ’patients’ produisent par ordre d’importance des moyennes d’occurrences des noms d’exemplaires puis des noms, des noms de catégories et des noms d’autres catégories. Les différences sont significatives entre chaque classe. Les ’témoins’ produisent autant de noms d’exemplaires que de noms et de noms de catégories. En revanche, ils utilisent significativement moins de noms d’autres catégories.

L’observation des pourcentages d’occurrences pour chaque catégorie, par rapport au total des noms produits indique une proportion identique de noms (33,0 % pour les ’témoins’ et 33,1 % pour les ’patients’) et de noms d’autres catégories ( 5,8 % pour les ’témoins’ et 4,7 % pour les ’patients’) pour les deux échantillons. Cependant les ’patients’ emploient davantage de noms d’exemplaires que les ’témoins’ (43,8 % contre 33,7 %) et moins de noms de catégories (18,4 % contre 27,5 %).

Les ’patients’ ont donc tendance à reprendre davantage les noms d’exemplaires fournis par l’expérimentateur et à accéder plus difficilement aux termes catégories en général, alors que les ’témoins’ manifestent une tendance inverse. Cette tendance avait déjà été relevée,dans un contexte expérimental différent par Nebes & Halliga (1996).

En résumé :

  1. Proportionnellement, les ’patients’ ne produisent pas moins de noms que les ’témoins’.

  2. Cette apparente identité de comportement est due au fait que, le manque du mot empêche les ’patients’ de se référer à la catégorie et les contraint à répéter les noms d’exemplaires fournis par l’expérimentateur, alors que les ’témoins’ adoptent un comportement inverse.

  3. Le fait que, par rapport aux verbes, les noms sont moins fréquents chez les ’patients’ et plus fréquents chez les ’témoins’, confirme cette interprétation.

En apparence, manque du mot semble ne pas se traduire par une diminution relative des productions de noms par rapport aux verbes, mais plutôt par une augmentation de verbes par rapport aux noms.

En réalité, les patients manifestent une tendance à la reprise des noms d’exemplaires donnés par l’expérimentateur.

La différence entre les deux échantillons est ainsi plus sensible si on se réfère aux stratégies cognitives des sujets que si on s’en tient au strict recensement des occurrences.