11.2 Deuxième niveau : critères de catégorisation

Notre deuxième plan d’analyse a été celui des critères utilisés par les sujets pour effectuer une tâche de catégorisation. Il nous a permis de distinguer clairement deux types de critères : les connaissances socialisées d’une part et les représentations d’autre part.

Selon la terminologie que nous avons employée, les premières réfèrent à un savoir à propos du monde’, au sens large, qui regroupent à la fois des connaissances encyclopédiques, techniques, biologiques etc., mais aussi linguistiques. Les secondes en revanche, font référence à l’expérience que les sujets ont du monde, aux expériences qu’ils ont faites à travers les interactions avec les objets de ce monde.

Nous avons pu mettre en évidence un plan de séparation entre les connaissances socialisées, qui regroupent les critères les plus utilisés par les ’témoins’ et les représentations qui regroupent les critères les plus volontiers exprimés par les ’patients’. Globalement, les patients qui catégorisent davantage à partir de représentation, ne subissent pas l’influence de la consigne quant à l’expression de leurs critères, alors que les ’témoins’, qui catégorisent à partir des connaissances socialisées sont sensibles à l’effet de la consigne technique. Si l’on prend en compte les profils dessinés par l’expression de chaque type de critère en fonction des différentes consignes, on s’aperçoit que la consigne linguistique et plus encore la consigne pragmatique rapprochent les profils des deux groupes. Autrement dit, plus on incite les ’témoins’ à faire référence à leur expérience du monde (i.e. à catégoriser selon des représentations), plus les critères qu’ils utilisent ressemblent à ceux des patients. Ce phénomène confirme, avec une approche méthodologique différente, les résultats de l’analyse précédente.

Ainsi le plan de séparation établi en psychologie entre prototype et stéréotype et les processus de figements qui conduisent de l’un à l’autre s’actualisent dans le recours à des critères différents selon que l’on catégorise à partir d’un prototype ou d’un stéréotype.

Un autre phénomène remarquable, mis en évidence par cette étude, est l’importance des ’scripts’ en tant qu’élément fondateur des processus de catégorisation chez les patients. En effet, nos résultats révèlent que si les ’patients se différencient des témoins sur le plan des références à des représentations, c’est avant tout parce que les premiers font davantage référence à des ’scripts’. Plus, si comme nous l’avons vu, les ’témoins’ se rapprochent davantage des ’patients’ sous une consigne pragmatique, c’est parce que, sous cette condition, ils ont davantage tendance à contextualiser, c’est à dire à faire référence à des ’scripts’ (davantage que les critères ’fonctionnel’ et traits perceptifs’).

Hilaire (2000a) interprète le phénomène de recontextualisation comme des processus de compensation qui se développent et prennent de l’importance au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. Néanmoins cette explication ne peut pas rendre compte de l’apparition d’un tel comportement chez les patients. Si l’on est bien obligé d’admettre que les capacités cognitives des ’témoins’ sont préservées, alors on est contraint d’interpréter ce phénomène comme relevant d’un processus d’adaptation normal et non pathologique. Nous préférons, pour notre part, interpréter ces processus de recontextualisation comme le recours aux scripts stabilisés en invariants qui persistent plus tard sous forme d’épisodes de vies (Bideau & Houdé, 1991). Ce processus normal est utilisé par des sujets ’normaux’ lorsqu’ils se sentent autorisés à le faire, c’est-à-dire lorsque le contexte les y autorise explicitement. De la même façon il est utilisé par des sujets atteints de maladie d’Alzheimer, non pas pour compenser le manque du mot, mais parce que le manque du mot n’autorise pas le recours à une catégorisation en fonction du stéréotype.

A partir de cela, il est nécessaire de préciser deux points, à notre avis essentiels, dont nous reprendrons les implications sur un plan clinique.

  1. Le fait que les sujets aient recours à des stratégies qui s’apparentent à des stratégies primaires mises en évidence chez des enfants ne doit pas nous conduire à penser qu’ils régressent à des processus archaïques dans un mouvement inverse à celui du développent.

  2. La stratégie d’utilisation de processus antérieurs plus archaïques de catégorisation n’implique pas que les catégories ainsi structurés soient des catégories plus archaïques.

En cela réside toute la puissance de l’hypothèse de Dubois, qui est de considérer la catégorisation comme un acte de cognition, c’est-à-dire un processus dynamique d’adaptation.

La mise en évidence d’une distinction connaissances socialisées / représentations lors des processus de catégorisation nous conduit à notre troisième niveau d’analyse : l’étude des marques de la personne, qui doit nous permettre de mettre en évidence les traces de ce phénomène dans le discours.