11.3 Troisième niveau : emploi des marques de la personne

Ce plan d’analyse correspond au plan de séparation théorique entre les approches psychologique et linguistique de la catégorisation, que nous avons évoqué au chapitre 3.

Si nous postulons à la suite de Souchard (1989) et David (1997) que l’analyse des marques de la personne est suffisamment pertinente pour distinguer l’importance de la présence du sujet par rapport à ce dont il parle (subjectivité), des types de référence (collective ou individuelle) auxquelles il se réfère pour effectuer la tâche qu’on lui propose ; alors nous devons retrouver sur un plan linguistique le reflet des différenciations que nous avons mises en évidence sur un plan psychologique.

Nos résultats reflètent chez tous les sujets (malades ou non) une tendance à la subjectivité pour effectuer la tâche de catégorisation qui va dans le sens des résultats obtenus avec des tâches de catégorisation d’odeurs et de bruit. Dans notre cadre expérimental, la catégorisation pour tous les sujets procède d’une expérience subjective. Néanmoins, contre toute attente, la comparaison ’témoins’ / ’patients’ révèle une supériorité des ’témoins’ dans ce domaine. Cependant, les effets de consigne et de catégorie nous révèlent que, plus le contexte est contraignant, plus les ’patients ’ ont tendance à catégoriser à partir d’une expérience subjective, ce qui confirme là encore, les résultats obtenus pour catégorisation d’odeurs et de bruits. L’effet de la consigne linguistique chez les témoins, et l’identité entre les consignes technique et pragmatique conforte les résultats de la première analyse. Ainsi les ’témoins’ identifient-ils clairement deux types de tâches. Pour eux, catégoriser des objets du monde est une chose et catégoriser des mots en est une autre.

L’analyse des références individuelles vs collectives, produit des résultats et des profils exactement semblables à ceux obtenus dans l’étude de l’implication des sujets.

Autrement dit, plus la consigne est contraignante, plus les ’patients’ s’impliquent dans le processus de catégorisation et plus ils se réfèrent à leur propre expérience du monde pour catégoriser. A l’inverse, les ’témoins’ sont davantage sensibles au type d’objets qu’on leur demande de catégoriser qu’à la variation de la contrainte. Catégoriser des mots passe, pour eux, par une plus grande implication et un recours à des références individuelles.

Les enseignements que nous pouvons retirer de cette étude sont de trois ordres :

Globalement l’emploi des marques de la personne reflète du point de vue de la linguistique, les processus de catégorisation des sujets analysés du point de vue de la psychologie.

L’existence d’un plan de séparation entre les connaissances socialisées et les représentations s’actualise en langue par un déséquilibre en faveur les marques de la personne traduisant l’implication du sujet par rapport à ce dont il parle d’une part, et en faveur des marques de la personne traduisant des références individuelles par rapport à celles traduisant des références collectives, d’autre part.

Enfin, les résultats de cette analyse rejoignent de l’analyse des critères et sont de nature à alimenter le débat à propos du caractère perceptuel vs conceptuel de la catégorisation (Barsalou, 1998 ; Dubois 2000). Ils tendent à confirmer les arguments de Dubois en faveur d’une interaction entre conceptualisation et perception (Dubois 2000, p. 59) et nous fournissent des indices sur la nature et les conditions de cette interaction.

Il n’en reste pas moins que nous n’avons pu trouver d’argument suffisamment robuste pour expliquer pourquoi les ’témoins’ ont globalement davantage tendance que les ’patients’ à s’impliquer et à faire appel à des références individuelles. Il est possible que cet effet, même si nous l’avons mesuré en pourcentage du total des marques produites, traduise un déséquilibre entre les tailles des deux corpus.

L’analyse des formes morphosyntaxiques simples nous a permis d’affiner la recherche de la traduction en discours des processus cognitifs.