11.7 Maladie d’Alzheimer : conséquences sur un plan expérimental

Sur un plan expérimental, notre travail conforte les critiques formulées aux chapitres 3 et 4 vis-à-vis des protocoles d’évaluation des troubles lexico-sémantiques sur les cinq points suivants :

  1. Les protocoles expérimentaux imposent de façon explicite les catégories aux sujets.

  2. Les catégories sont définies a priori par l’expérimentateur en fonction de son cadre expérimental et en référence à des catégories ’vraies’ ou socialement bien normées.

  3. Les protocoles imposent des réponses en vrai ou faux.

  4. Les tâches proposées supposent de la part des sujets des traitements de formes verbales ou d’énoncés minimaux (un x est un Y).

  5. Les processus de décisions et jugements sollicités portent sur les propriétés extensionnelles des catégories.

Nos résultats suggèrent qu’il serait sans doute également pertinent de laisser aux sujets la possibilité de catégoriser comme ils le souhaitent et d’analyser ensuite les critères sur lesquels ils s’appuient. A partir du même matériel il serait sans doute habile de proposer ensuite une tâche de forçage catégoriel qui placerait sans ambiguïté les sujets dans les conditions d’une catégorisation explicite. Un récent mémoire d’orthophonie (Cluniat & Hivernat, 2001) a pu démontrer la puissance potentielle d’une telle tâche sur le plan du diagnostic différentiel. Enfin soumettre systématiquement les sujets à un re-test constituerait probablement bon indice complémentaire d’identification des stratégies utilisées pour la catégorisation.

Par ailleurs, notre recherche conforte notre intuition de départ. Il ne semble pas pertinent d’appréhender les mécanismes de désintégration lexico-sémantiques chez les malades sous l’angle déficit d’accès vs perte des représentations sémantiques. Il n’est par ailleurs pas plus productif de les comprendre à partir de la détérioration spécifique des catégories. Il est par contre, plus séduisant de solliciter la production de scripts et de scénarios plutôt que de listes d’attributs, nécessairement socialisées et dépendants des protocoles. Ainsi l’analyse de l’effet des catégories a montré que lorsqu’on s’écarte des tâches de dénomination, on n’observe pas globalement de différenciation catégories naturelles vs catégories artefactuelles, quel que soit le contexte, ce qui nous incite à penser que ce phénomène pourrait bien être lié aux protocoles de dénomination. Enfin, la mise en évidence d’un recours systématique chez les malades à des processus perceptifs, individuels conduit à remettre en cause l’utilisation de listes de propriétés. Si celles-ci ne sont pas intrinsèques aux objets du monde (c’est-à-dire collectivement partagées, normées), mais différentes selon les expériences individuelles, est-ce que les listes des propriétés liées à l’exemplaire ’ours’ , par exemple, ne tiennent pas davantage des propriétés perceptives de l’ours en peluche que de celles de l’ours brun ?

Enfin, la mise en évidence de références à des stratégies individuelles de catégorisation est de nature à rendre compte, en partie, de la variabilité des tableaux cliniques dessinés par les protocoles classiques d’évaluation (cf. Joannette et al., 1995). Nous ne prétendons pas avoir trouvé là l’explication générale à la diversité des symptomatologies ni à la variété des symptômes, mais nous notons toutefois qu’il existe une certaine similitude entre la variété des étiologies (du fait de la multiplicité des conditions environnementales) et variétés des processus de catégorisation (du fait de la variété des relations individuelles aux objets du monde).