4. Conclusion.

Le dialogue auteur-lecteur réels peut sembler fort éloigné, à première vue, du dialogue romanesque. Cependant, l'image qui se dégage de Duras à partir des interviews est en tout point semblable à celle que le lecteur peut dégager d'elle à partir de la lecture des romans, où l'écrivain inscrit dans l'oeuvre est un être de subversion, d'émotion, créant une complicité avec son lecteur. Le cas sera par exemple tout à fait différent pour Yann Andréa qui au vu de ses écrits apparaît comme un être doux, sensible et qui, lors d'une interview passée sur R.T.L. le 13 septembre 1999, s'est avéré un être moqueur, peu sincère dans sa relation avec Duras. Image qu'il rectifiera d'ailleurs lors de ses autres apparitions médiatiques. Ce sera la grande force de Duras que son moi « médiatique » et son moi « biographique » correspondent parfaitement avec l'auteur inscrit : dès lors aucune déception chez ses admirateurs et une même exaspération chez ses détracteurs.

Confrontée en permanence à l'échec de l'action directe, ses prétentions seront du seul ordre de la subversion : subversion des institutions politiques et sociales mais aussi littéraires, subversion de la doxa comme mode de pensée, subversion du langage considéré comme élément symbolique d'une rationalité toute masculine, incapable d'exprimer l'être de la femme ou de tout être de fracture comme le vice-consul assimilé par son exclusion à la femme, et enfin subversion de l'écriture elle-même ou du langage littéraire. Bref, Marguerite Duras comme personne réelle produira, aux dires de ses amis, de nombreux énoncés paradoxaux, mais construira d'elle-même une figure médiatique d'écrivain non conventionnel, choquant l'opinion publique par ses jugements sur Antelme, sur Villemin, par ses aveux sur son alcoolisme, sur sa fréquentation des collaborateurs... Et c'est cette même figure de subversion, d'auteur non conventionnel qui pourra se déduire de ses oeuvres.

Pour exercer cette subversion, Duras médiatique ou auteur inscrit joue sur l'émotionnel. Ce bouleversement, ce trouble qu'elle tente en permanence de provoquer, qu'il se traduise en émotion positive engendrant une fascination du lecteur pour l'écrivain ou en émotion négative traduisible en terme de choc ou de scandale engendrant le rejet, devraient pouvoir se transformer en termes d'actions même si, sur ce plan, la déception est partout présente.

Autrement dit, par l'écriture ou même plus globalement par la parole ou le discours médiatique, Duras paraît vouloir agir sur le monde par l'intermédiaire de l'émotion. Et dans les macro-actes de langage que constituent l'expression médiatique ou l'acte d'écrire, c'est moins l'acte illocutoire pur qui importe que l'acte perlocutoire.

Cette correspondance produit une représentation globale, auprès du public, d'un écrivain sincère communiquant aux autres sa vérité sur le monde. Alors, Duras, et son oeuvre, fascinent ou exaspèrent, suscitent l'admiration absolue ou le rejet total. Elle devient alors, selon l'expression de Denes (1997 : 9), un « auteur-culte ou écrivain maudit ».