II. DIALOGUE ENTRE AUTEUR ET LECTEUR INSCRITS

Chapitre 1 : La gestion de l’information romanesque.

1. Le pacte romanesque.

Nous avons posé le texte romanesque comme un gigantesque acte assertif émanant d'un auteur inscrit à destination d'un lecteur également inscrit, après avoir étudié la problématique de l'auteur réel qui donc, pour nous, communique avec son lecteur en lui offrant comme cadeau un acte du type « imaginez », mais dans une visée le plus souvent indirectement performative. Il s'agira dans cette deuxième sous-partie d'affiner cette dernière déclaration et surtout d'étudier plus précisément le « contenu propositionnel » de ce macro-acte, en étudiant à la fois le contenu de l'information romanesque dans sa double composante diégétique et idéologique mais aussi la manière dont elle est distillée au lecteur. La structuration de cette deuxième sous-partie reposera donc fondamentalement sur la conviction que l'information d'une fiction narrative s'organise en deux grands ordres : les données narratives pures visant à construire un monde et les données idéologiques visant à transmettre une vision du monde. Sterne dans Tristram Shandy paraît confirmer ce point de vue :

‘J'ai entrepris, voyez-vous, le récit non seulement de ma vie mais de mes opinions ; avec l'espoir que la connaissance de l'une et par la suite de mon personnage et du genre de mortel auquel vous avez affaire aiguiserait votre appétit pour les autres [...] (Tristram Shandy : 33 ; nous soulignons).’

Le texte avoue d'emblée ses intentions programmatiques : raconter une autobiographie fictive et fournir des informations d'ordre idéologique. Pour tenter de rendre compte de cette double réalité, nous avons donc choisi d'organiser cette deuxième sous-partie selon trois axes distincts. Le premier traitera de la gestion de l'information romanesque en tant que telle. Le deuxième s'attachera au phénomène de la stéréotypie, phénomène mixte par excellence puisqu'il relève par certains de ses aspects de la gestion de l'information narrative et par d'autres de l'information idéologique tout en témoignant en tant qu'interdiscours de l'état de connaissances du monde de l'auteur inscrit et de l'état de connaissances présupposé chez le lecteur. Le troisième sera consacré à la transmission idéologique (ou vision du monde communiquée), mais, vu l’ampleur du sujet, nous avons choisi de la réduire à un seul de ses aspects : l'étude des normes exprimées. Les forces illocutoires et perlocutoires de l'acte littéraire ayant été abordées dans la première sous-partie, nous n'y reviendrons plus ici que dans une perspective d'affinement.

Toutefois, avant de pénétrer dans l'étude proprement dite du contenu propositionnel de l'acte d'écriture, il nous faut signaler que cette communication entre auteur et lecteur inscrits repose sur un pacte qui a été mis en lumière, par de nombreux théoriciens, sous des noms différents recoupant des réalités à la fois divergentes, selon qu'on le centre sur l'instance émettrice ou réceptrice, et fort similaires par leur nature49. Nous l'appellerons « pacte romanesque » parce que, pour nous, il est un pacte de « lecture-production ». Ce pacte qui, comme le résume très bien Philippe (1996 : 86), consiste pour le lecteur réel à « accorder sa créance » à l’auteur inscrit et à suspendre « son jugement sur la véracité de ce qui lui est conté » en le plaçant dans la littérature induit aussi, mais cette fois chez les deux instances inscrites dans le texte, une obligation de coopérer. Cette obligation est quasiment contractuelle.

L'auteur inscrit s'engage à continuer son roman dans la direction empruntée et à fournir au lecteur toutes les informations qui lui seront nécessaires pour lire le roman, c'est-à-dire à donner des informations relatives au destin des personnages principaux, à aller vers une fin qu'il programmera par des indices de clausure (correspondant aux rituels de clôture pour les conversations authentiques) ou en se conformant à un schéma préétabli permettant au lecteur de s'attendre à la mort du héros, par exemple. Ces éléments se trouvent formulés dans le récit parodique de Sterne :

‘Une nouvelle action va commencer. -
Laissons donc mes culottes aux mains du tailleur [...]. -
Laissons ma mère (la plus vraie des Prococurantes de son sexe !) s'en soucier fort peu, [...]. -
Laissons Slop jouir pleinement du profit de tous mes déshonneurs. -
Laissons le pauvre Le Fever se remettre, [...], laissons si possible -
Qui ? Moi. Mais c'est impossible, je dois vous accompagner jusqu'au bout de l'ouvrage (Tristram Shandy : 399 ; nous soulignons).’

Sterne met en scène un héros-narrateur qui, ayant formulé le projet de raconter sa propre vie, ne peut en aucun cas s'abandonner lui-même sous peine d'abandonner le sujet de son livre. L'utilisation dans cette citation « autotextuelle »50 du verbe « devoir » place le pacte romanesque dans l'horizon des obligations contractuelles. Dumas, dans La dame de Monsoreau, parlait lui de « droit » du lecteur :

‘Il est un des personnages de cette histoire, il en est même deux, des faits et gestes desquels le lecteur a droit de nous demander des comptes (La dame de Monsoreau : 564 ; nous soulignons).’

Ceci nous conduit d'ailleurs à considérer l'acte fictionnel narratif sous l'angle au minimum d'un double acte de langage : l'auteur inscrit « asserte », mais il accomplit aussi un acte promissif 51, dans la mesure où dans le même temps il promet à son lecteur de continuer ses assertions jusqu'au bout et sans contradiction avec la ligne adoptée. Nous ne sommes pas loin de retrouver le même état de complexité pour l'acte littéraire que celui que Kerbrat-Orecchioni (1996b : 11-12) avait relevé pour les déclarations d'amour. En fait, l'auteur inscrit passe avec son lecteur ce que Maingueneau avait nommé un « contrat littéraire » qui gère l'information selon une double contrainte :

‘En tant que « discours », la littérature ne peut se placer à l'extérieur des exigences du « principe de coopération » ou de la « loi de modalité », mais, en tant que littérature, elle s'y soumet en fonction de son économie propre, du rapport que chaque oeuvre ou type d'oeuvre institue avec les usages non-littéraires du discours (Maingueneau 1990 : 121).’

Cette citation de Maingueneau situe donc explicitement le discours littéraire en liaison avec les « maximes conversationnelles » de Grice ou leur reformulation par Ducrot et par Kerbrat-Orecchioni sous forme de « lois du discours », tout en signalant la spécificité du discours littéraire. Notre hypothèse rejoint celle de Maingueneau à savoir que la gestion de l'information littéraire repose sur les maximes conversationnelles revues à la lumière des spécificités du discours littéraire. Nous examinerons cette articulation dans la partie consacrée à la gestion de l'information. Grice établit d'ailleurs le « principe de coopération » comme un « macroprincipe » sous lequel se rangent toutes les autres règles, mais il est évident que cette obligation contractuelle n'engage pas l'auteur réel qui peut à tout moment renoncer à continuer un roman qu'il a commencé ou à le poursuivre sur la même ligne.

Le lecteur inscrit s'engage aussi dans un principe de coopération puisqu'il est présupposé continuer la lecture du roman et détenir une certaine somme de connaissances qui lui permettront de le comprendre. Sterne signale à plusieurs reprises dans son roman cette double obligation. L'obligation de lire et surtout de lire attentivement est mise en évidence par cet amusant dialogue avec une lectrice :

‘- Comment avez-vous pu, madame, lire avec si peu d'attention le précédent chapitre ? Je vous ai dit que ma mère n'était pas papiste.
- Papiste, vous ne m'avez, monsieur, rien dit de pareil.
- Accordez-moi, madame, la liberté de répéter que je vous l'ai dit aussi clairement du moins que les mots peuvent le donner à entendre.
- J'ai donc, monsieur, sauté une page.
- Non, madame, vous n'avez pas sauté un mot.
- Alors, monsieur, c'est que je dormais.
- Mon orgueil, madame, ne vous permet pas ce refuge.
- J'avoue donc n'y rien entendre.
- Voilà précisément, madame, ce dont je vous accusais ; en guise de punition vous allez revenir en arrière aussitôt (j'entends quand j'aurai fini ma phrase), pour relire ce chapitre (Tristram Shandy : 71).’

La nécessité pour le lecteur de détenir un certain potentiel de connaissances est également évoquée à plusieurs reprises par le texte de Sterne :

‘Comme le lecteur (je déteste les si) possède une connaissance parfaite de la nature humaine, il ne lui en faut pas plus pour comprendre que mon héros ne pouvait longtemps mener ce train sans quelque expérience de ces menus accidents et rappels à l'ordre (Tristram Shandy : 47).
Je rappellerai au lecteur, s'il a lu l'histoire des guerres du roi William, et je lui apprendrai, s'il ne l'a pas lue, que l'un des plus mémorables assauts de ce siège fut celui mené par les Anglais et les Hollandais [...] (Tristram Shandy : 91).’

La difficulté pour le romancier est alors bien évidemment de savoir quel type et quel degré de connaissances il est en droit de présupposer chez son lecteur. Kerbrat-Orecchioni (1986 : 210) avait montré toute la difficulté pour un locuteur (L) de déterminer l'« état de l'encyclopédie » de l'allocutaire (A) et elle avait signalé que « lorsque l'on a affaire à un destinataire collectif et hétérogène, cette opération de prévision de l'encyclopédie de A devient plus acrobatique encore ». En fait pour le texte romanesque, il faut distinguer les compétences encyclopédiques des lecteurs réels qui sont elles extrêmement divergentes et celles qui sont inscrites dans le texte romanesque et qui constitueront, comme nous le verrons, un des facteurs déterminants pour la description du lecteur inscrit.

Ce lecteur se trouve également contraint de faire les inférences qui lui seront demandées par le texte. Là encore, Sterne joue admirablement sur cette obligation :

‘Avant de clore ce chapitre, qu'il me soit permis, belle lectrice, d'avancer un caveat prévenant qui vous retienne sur la pente : d'un mot ou deux tombés par inadvertance de ma plume, vous ne sauriez conclure absolument que je suis marié. Je l'avoue, l'expression tendre dont j'ai usé : « ma chère, chère Jenny », et quelques traits répandus çà et là de science conjugale pourraient assez naturellement me faire condamner sur ce point par le plus scrupuleux des juges. Je ne réclame ici, madame, qu'une stricte justice : vous vous devez et me devez de ne rien préjuger ; refusez-vous à un tel arrêt sur mon compte tant que n'ont pas été produites des preuves plus certaines que celles, je l'affirme, dont on peut maintenant faire cas (Tristram Shandy : 65).’

Sterne feint d'exiger de sa lectrice qu'aucune inférence ne soit faite à partir du texte. Par là même, il reconnaît l'existence du travail interprétatif. Celui-ci constitue la part essentielle de la collaboration du lecteur à la construction du sens de l’oeuvre. C’est par elle que, comme le signale De Carlo (1997 : 286-287), « se réalise aussi la forme dialogique de la narration ». Nous rejoignons sur ce point la théorie d'Eco qui présuppose une « coopération interprétative » où le lecteur est censé, comme le disent Adam et Revaz (1996 : 31), « remplir les vides, les blancs et les ellipses du tout énoncé » et tirer toutes les inférences possibles du texte :

‘Bien entendu, il faut que le lecteur ait décidé de coopérer avec l'auteur [...]. Si le lecteur ne coopère pas, il peut utiliser quand même le manuel, mais comme stimulus de l'imagination pour concevoir ses propres parties ; de la même façon, on peut interrompre un roman policier au beau milieu pour écrire son propre roman, [...] (Eco 1985 : 149).’

Même si, par la formulation adoptée ici, Eco semble placer la volonté de coopération au niveau du lecteur réel, Lector in fabula, dans sa totalité, situe le principe de coopération dans la programmation du texte et laisse au lecteur réel la possibilité de choisir de coopérer ou non. Et il est évident que le lecteur réel ne peut se trouver engagé par le pacte dans la mesure où tel ou tel lecteur peut ne pas posséder les connaissances que présuppose l'oeuvre, ne pas tirer toutes les inférences nécessitées par l'oeuvre, ou à tout moment abandonner le roman qu'il est en train de lire. Mais sa représentation textuelle, à savoir le lecteur inscrit, est censée continuer la lecture du roman jusqu'au bout. Elle est en outre censée effectuer un travail de décodage par un processus inférentiel ou interprétatif dont le but serait in fine de retrouver l'intentionnalité de l'auteur inscrit.

L’auteur inscrit peut guider ce travail interprétatif ou s’amuser à le déjouer en usant de formules similaires à un « n’allez surtout pas vous imaginer » :

‘Aux premiers contours de cette esquisse biographique, tout le monde va s’écrier : « - Voilà, malgré sa laideur, l’homme le plus heureux de la terre ! » . En effet, aucun ennui, aucun spleen ne résiste au moxa qu’on se pose à l’âme en se donnant une manie. [...] Néanmoins, n’enviez pas le bonhomme Pons, ce sentiment reposerait, comme tous les mouvements de ce genre, sur une erreur (Le cousin Pons : 13-14).
Il ne faudrait pas connaître Paris pour imaginer que les deux amis eussent échappé à la raillerie parisienne, qui n’a jamais rien respecté (Le cousin Pons : 23).’

Balzac conduit le lecteur jusqu’au bout du travail inférentiel que celui-ci serait censé faire à la lecture des données biographiques sur Pons, alors que Duras le complexifie, quand elle ne le refuse pas tout simplement, comme dans cet exemple où le narrateur suspend son commentaire :

‘La douceur de la voix qui tout à coup déchire l’âme et ferait croire que.
Il ne peut pas s’empêcher de pleurer (Yeux : 14).’

Le lecteur ne saura jamais ce qu’il peut inférer de cette « douceur de la voix ». La voix narrative est interrompue à l’énoncé du simple subordonnant. L’interruption brutale vient-elle des pleurs du personnage, ou d’un procédé durassien de contamination narrative 52 ? De toutes manières, le décodage des indications non verbales est ici explicitement refusé au lecteur. Le refus du processus inférentiel n’est pas toujours aussi systématique, l’inférence est souvent simplement complexifiée.

Le type inférentiel durassien trouve sa représentation typique dans cet exemple extrait des Chevaux :

‘Il regarda Sara en riant, lui aussi, mais de façon insistante (Chevaux : 130).’

Le « il » représente l’homme au bateau, le fait de regarder Sara en riant impliquerait, selon la terminologie de Ducrot (1980 : 93-130), une conclusion r du type d’une relation amicale de complicité ; le « mais » fonctionne en inverseur argumentatif : en introduisant le « de façon insistante », il impose au lecteur de tirer la conclusion -r selon laquelle il ne s’agit pas d’une relation amicale mais d’une relation amoureuse. Ainsi, chez Duras rien n’est dit de la relation amoureuse, c’est au lecteur de la déduire par tout un travail d’inférences relativement complexe pour rétablir les conclusions qui, comme l’a démontré Ducrot, sont en fait en opposition. Ce travail n’est réalisable qu’en référence aux topoï. L’utilisation du mais est de très haute fréquence chez Duras et nous en reparlerons dans la partie consacrée à la norme, puisque le recours aux topoï suppose un aspect normatif.

Le texte littéraire présuppose donc bien une double coopération : celle de l'auteur et celle du lecteur inscrits liés par un véritable pacte.

Ce pacte est le plus souvent implicite, seuls certains romans parodiques le rendent totalement explicite, prouvant par là même son existence. Que ce soit, comme nous l'avons vu, dans Tristram Shandy ou dans la série des San-Antonio, le pacte romanesque est dénoncé dans un jeu sur l'acte d'écrire. Cette dénonciation peut être à charge de l'auteur inscrit ou du narrateur. Tristram Shandy joue d'ailleurs assez habilement sur le dédoublement des instances dissociant le « je » narratif en une pluralité : un « je-personnage », un « je-narrateur » et un « je-auteur inscrit ». Cette dissociation entre narrateur et auteur inscrit, souvent confondus dans un roman à la première personne, est rendue possible par la dissociation des instances réceptrices entre un « vous » représentatif du narrataire et une troisième personne révélatrice du lecteur inscrit, présupposant une double instance productrice :

‘Voilà bien longtemps que le lecteur de cette rhapsodie a perdu de vue notre sage-femme : il est urgent de lui rappeler son existence corporelle en ce monde puisqu'elle va lui être définitivement présentée, autant que je puisse juger au point où j'en suis, du plan de mon propre ouvrage. [...]
Il me faut ajouter que la sage-femme était fort bien vue dans une grande ferme et quelques maisons ou cottages isolés à deux ou trois milles de là et ce, je l'ai dit, sur son seul mérite. Mais je dois ici vous informer une bonne fois que tout cela sera plus exactement tracé et expliqué dans une carte maintenant chez le graveur ; [...] (Tristram Shandy : 53 ; nous soulignons).’

Le jeu des pronoms et des adjectifs possessifs rend plus qu'évident le dédoublement des instances. Mais l'extrait pointe aussi le lien existant entre ce pacte et la gestion de l'information.

L'élément essentiel de ce pacte, qui consiste pour l'auteur inscrit à continuer le roman jusqu'au bout, se retrouve aussi dans un San-Antonio :

‘Vous souhaitez avoir connaissance du texte, je parie ? Comment dites-vous ? C'est compris dans le prix du bouquin ? Vous avez acheté toute l'histoire au forfait ? Vous qui le dites, mes drôles ! Qui vous vend ce polar ? Mon néditeur, non ? Mézigue, je m'ai engagé à rien, après tout. Je batifole un peu dans ces pages, je reste libre. Un jour, pour vous le prouver, je m'interromprai en pleine action. P't’ être pour cause d'embolie ; mais p't’ être aussi par fantaisie pure. Au moment crucial, juste comme la vérité va vous être déballée, lumineuse et totale (Moi, vous me connaissez ? : 144).’

L'intérêt de l'extrait est double. Il réside d'une part dans l'emploi du terme « engager » qui montre à quel point l'obligation est contractuelle. Mais il réside surtout dans le fait que le contrat se double ici de l'évocation du contrat commercial qui, passé entre un auteur réel et un éditeur, constitue la garantie du pacte romanesque. Le même principe est porté en dérision dans T'es beau, tu sais (p. 205-208) puisque le narrateur abandonne son histoire, écrit le premier chapitre d'une autre, qu'il barrera d'ailleurs pour continuer la première après les récriminations textuelles et fictives de son éditeur. Dans les San-Antonio, l'éditeur devient un personnage important, en conformité d’ailleurs avec l’importance qu’il a acquise au travers des siècles dans l’univers littéraire.

En dehors des aspects parodiés, l'évocation du pacte est rarement explicite. C'est ainsi que chez Duras, sa seule partie réellement explicite est celle qui concerne le lecteur puisque autant le texte durassien que le métatexte témoignent de la « part active du lecteur » dans la construction du roman.

En dehors de ce pacte de coopération relié assez fondamentalement à l’information, le pacte romanesque littéraire comprend également un pacte esthétique dont nous nous occuperons très peu en tant que tel, parce qu'il concerne essentiellement, dans sa mise en application, les critiques littéraires et les stylisticiens, mais dont l’existence conditionne pourtant toute la mise en application des règles gouvernant la gestion de l’information. En fait, dire que l'on écrit un roman implique que l'on recherche aussi une certaine littérarité mais pour que celle-ci devienne effective, il faut qu’elle se retrouve au sein du texte lui-même et que le lecteur s’engage à la décoder. C’est, selon Lane-Mercier (1990 : 344), un des aspects sur lequel Pratt avait attiré l’attention en déclarant :

‘Notre rôle par rapport aux oeuvres littéraires présuppose un engagement esthétique, et non un désengagement ; les responsabilités conventionnelles liées à cet engagement sont extrêmement complexes ; et ce sont cet engagement et ces responsabilités qui définissent la situation énonciative littéraire (Pratt 1977 : 99, citée par Lane-Mercier 1990 : 344).’

Ce pacte esthétique comprend en son sein un principe de littérarité et confirme ou infirme alors en aval l’intentionnalité du romancier réel qui devra aussi toutefois se voir confirmée ou infirmée par les acteurs du champ littéraire (éditeur, critiques, autres romanciers...). On débouche alors sur un « pacte d’édition » qui régit la relation entre l’éditeur et ses clients-lecteurs. En vertu de ce pacte, des indices visibles feront par exemple apparaître le classement du roman en tant qu’oeuvre littéraire ou en tant que produit commercial. Certaines maisons d’édition comme Gallimard ou les Éditions de Minuit déclarent par leur existence même que les ouvrages qu’elles publient appartiennent au champ littéraire, d’autres le font par le biais de certaines collections. À l’inverse, des collections comme « Série noire » ou « Masque » avouent un parti pris commercial. Mais ce pacte d’édition incorpore aussi d’autres éléments qui influeront sur la gestion de l’information.

Ainsi l’ensemble de la communication littéraire est-elle régie par un triple pacte qui se retrouve tant au niveau des instances réelles qu’au niveau des instances inscrites et qui influera d’une manière ou d’une autre sur la gestion de l’information.

Notes
49.

Eco parle du « pacte de coopération », Gervais du « pacte de lecture », Maingueneau du « contrat littéraire », Adam de « contrat narratif » ; Lejeune a mis en lumière l'existence d'un pacte pour l'autobiographie et l'a complété dans ce contexte par un « pacte référentiel ».

50.

Pour utiliser la terminologie de Dällenbach.

51.

Terminologie de Searle (1982 : 62).

52.

De fait, il arrive souvent chez Duras, comme nous l’avons montré pour La pluie (Daussaint-Doneux 2001), que la manière de parler des personnages déteigne sur la façon d’écrire du narrateur. Nous y reviendrons.