1.1. Les procédés narratologiques.

1.1.1. Pensées et paroles de personnages.

Diverses techniques narratives permettent aux personnages de prendre en charge l'expression explicite des normes d'interaction.

-> La focalisation interne :

Ce procédé est utilisé par Gide notamment dans Les faux-monnayeurs. Ainsi, quand Antoine, le domestique des Profitendieu, remet à son maître la lettre de Bernard, l'échange entre le maître et son domestique prend cette forme :

‘- Avant de s'en aller, Monsieur Bernard a laissé une lettre pour Monsieur dans le bureau. [...] Mais comme il n'arrivait jamais à Bernard de s'absenter, monsieur Profitendieu, qu'Antoine observait du coin de l'oeil, ne put réprimer un sursaut :
- Comment ! avant de...
Il se ressaisit aussitôt ; il n'avait pas à laisser paraître son étonnement devant un subalterne ; le sentiment de sa supériorité ne le quittait point. Il acheva d'un ton très calme, magistral vraiment :
- C'est bien (p. 21 ; nous soulignons).’

Le discours indirect libre, qui fait entrer le lecteur dans la pensée du personnage, permet du même coup de prendre connaissance des normes régissant le dialogue maître-domestique : on n'exprime pas son émotion devant un subalterne. Le devoir de réserve et celui de protection du « territoire » se trouvent ainsi formulés.

Ce procédé, approprié à la problématique gidienne où les personnages sont en permanence tiraillés entre pulsions et norme sociale, est quasiment absent chez Duras. Une seule occurrence :

‘Elle est si... secrète, je ne sais rien, ainsi ce matin - Je suis en train de lui dire une chose que je ne devrais pas dire, pense Charles Rossett, [...] (Consul : 171).’

Charles Rossett était en train de dévoiler au vice-consul des informations sur Anne-Marie Stretter et la norme réfère à la loi d'exhaustivité. Charles Rossett répond à une tendance naturelle : donner tous les renseignements qu'il possède sur l'ambassadrice, thème de la conversation. Mais le monologue intérieur expose une autre obligation : un devoir de réserve. Cet extrait illustre le « conflit » dont parle Kerbrat-Orecchioni (1986 : 257) entre les différentes règles rhétorico-pragmatiques et donc « leur complexité de fonctionnement ».