2.1. Les normes concernant le contexte social.

Marguerite Duras ne socialise que très peu ses romans : le monde du travail, s'il n'est pas totalement absent des romans durassiens, y apparaît plus comme arrière-fond diégétique que comme cadre d'interactions. En fait, la romancière varie très peu les cadres sociaux dans lesquels évoluent les personnages de ses romans. Sur la totalité des romans, se retrouvent l'école, la famille, les partis politiques, les milieux littéraires ou mondains et enfin les milieux d'ambassade. L'analyse des rapports sociaux qui s'y nouent demeure parcellaires. Ainsi, ce sont les rapports parents-instituteur ou directeur, les rapports mari et femme, parents-enfants, frères-soeurs ou patron-domestiques qui sont développés, jamais les rapports enseignants-enseignés ou ceux d'une famille élargie.

Les autres interactions subissent une forme de décontextualisation sociale, dans la mesure où, si le milieu social dans lequel évoluent les personnages durassiens est globalement celui de la bourgeoisie, le rôle social des interactants est, en fait, à peine mentionné et n'interfère que peu sur les interactions qui s'y produisent : que le mari de Lol soit musicien et celui de Tatiana médecin n'a quasiment aucun impact sur les interactions du roman. Quant à Anne Desbaresdes, si elle est présentée comme femme du directeur d'usine, c'est pour mieux faire apparaître les discordances entre les interactions de son milieu (interactions sociales donc) et la plupart des interactions du roman qui se jouent sur le plan strict de l'humain entre un homme et une femme.

Ces interactions, plus purement humaines, se déroulent pourtant dans un lieu social de loisirs ou de vacances : café, restaurant ou hôtel. On les ajoutera à la liste des cadres sociaux : il semble qu'ils soient régis par certaines normes qui dépendent plus de la société que de la relation ou de l'interaction qui s'y déroulerait, et, qu'en outre, ces lieux peuvent s'institutionnaliser, comme le café dans Moderato ou l'hôtel des Chevaux :

‘Directement sur la place, donnait l'hôtel, [...] là où tout le monde, à toute heure, se retrouvait, le lieu géométrique et nécessaire des vacances. Sara s'arrêta donc. Il était impensable qu'elle ne s'y arrêtât point, comme tout le monde, dix fois par jour (Chevaux : 19).’

L'hôtel devient le lieu des rencontres, des apéritifs et des repas. Il devient le lieu ritualisé des Bitter Campari et des poissons grillés. Il est le lieu institutionnel des vacances et s'y arrêter fait donc partie des normes-habitudes des personnages.

Ainsi, ce sont au total six lieux sociaux qui sont représentés par les romans durassiens : l'école, la famille, les partis politiques, les milieux littéraires ou mondains, le monde colonial et le café-hôtel-restaurant. Nous ne dirons pas que les six appartiennent au même plan : le monde colonial est un microcosme social qui peut incorporer tous les autres domaines et qui relève d'un paramètre historique. L'école, la famille et les partis politiques sont, sans conteste, des institutions. Quant aux milieux mondains ou littéraires, ils n'apparaissent que très peu hors du contexte colonial.