2.2. Les normes concernant le relationnel.

Kerbrat-Orecchioni (1992 : 35) montre que la « relation interpersonnelle s'organise à partir de trois dimensions générales » : les relations nommées « horizontales » qui renvoient aux notions de « distance vs familiarité », les relations dites « verticales » qui renvoient à un « système de places » et à un rapport hiérarchisé, et les relations que certains répertorient sous le terme d'« affectives » et qu'elle préfère appeler « conflictuelles vs consensuelles » ou encore, comme Jacques, « agonales vs iréniques ». La notion de « distance » entre partenaires est, selon Kerbrat-Orecchioni (1992 : 39), établie en fonction « de leur degré de connaissance mutuelle (relation cognitive), de la nature du lien socio-affectif qui les unit, de la nature de la situation communicative : on parle d'une situation « familière » (vs « formelle ») ». Toutefois, ces trois dimensions n'ont pas pour nous la même valeur. La troisième relève, à notre sens, d'une modalité qui affecte de la même manière la relation horizontale et la relation verticale, alors que les deux premières peuvent véritablement définir des types de relation qui seraient alors, soit à dominante horizontale, soit à dominante verticale. Nous parlerons de dominante dans la mesure où, dans toute relation, les deux dimensions sont présentes. Toutefois, chaque relation pourrait se définir selon la prédominance d'un axe ou de l'autre. Ainsi, la relation amoureuse est, selon nous, à prédominance horizontale, même si les rapports dominants/dominés sont souvent l'enjeu des différentes interactions qui s'y produisent. La relation patron/employés est à dominante verticale, mais l'enjeu des interactions est souvent d'ordre horizontal. Il est d'ailleurs parfaitement logique que l'enjeu des interactions se produisant au sein des types de relation fonctionne en rapport inverse au type. Une relation à dominante verticale doit nécessairement amener à négocier ou transacter le rapport de distance, alors que, lorsque la relation est à dominante égalitaire, ce sont des enjeux de pouvoir qui s'y présentent et feront l'objet des interactions régulant cette relation. Autrement dit, la dominante de relation est une donnée de départ, alors que l'autre dimension doit, dans les interactions, se négocier.

Dans les romans durassiens, à l'exception de la relation patron/domestique, ce sont les relations à dominante horizontale qui prédominent sur les relations à dominante verticale. En effet, la relation d'amour, la relation d'amitié et la relation familiale sont les grandes relations interpersonnelles décrites par Duras. Cette simple énumération suffit, en outre, à montrer que c'est le paramètre socio-affectif qui prédomine. Elles incorporent généralement les deux modalités, puisque Duras donne, au sein de son univers romanesque, au minimum une illustration de chacune d'elles.

Ces trois types de relation horizontale ne fonctionnent pas de la même manière. Les relations d’amour et d’amitié débutent par une interaction clairement identifiable, la scène de rencontre. Elles se poursuivent par différentes interactions (visite, rendez-vous) qui constituent le corps de la relation et peuvent se clôturer par une scène de rupture qui, elle aussi, est une interaction à part entière. Les relations familiales se subdivisent en relation parents-enfants, mari et femme, enfants entre eux. Elles se comportent très différemment sur le plan interactionnel, puisqu'elles ne comprennent aucune interaction d'ouverture ni de clôture et que, sauf cas exceptionnels d'enfants abandonnés et de rupture familiale consommée, toutes les interactions se situeront dans le corps de la relation.

Sur le plan vertical, la seule relation représentée par le roman durassien est la relation patron-domestique. Elle se rapproche, sur le plan interactionnel, des deux premières, avec une scène d'engagement comme ouverture et une scène de renvoi comme clôture possible.