2.2. Les « canaux olfactifs, tactiles et thermiques ».

Comparativement aux statiques, cette catégorie est représentée en proportion bien supérieure. Les odeurs tout d’abord, comme le prouvent les exemples suivants :

‘Ses cheveux avaient la même odeur que sa main, d’objet inutilisé (Ravissement : 29).
Tatiana n’a plus l’odeur du linge frais des dortoirs [...] (Ravissement : 73-74).
Je vais vers Lol V. Stein. Je l’embrasse, je la lèche, je la sens, je baise ses dents (Ravissement : 117).
J’enlève l’alliance, je la sens, elle n’a pas d’odeur, je la remets (Ravissement : 182).
Je m’allonge auprès d’elle, de son corps ferme. Je reconnais son odeur (Ravissement : 188).’

Les notations sont relativement nombreuses. Elles sont, une fois encore, de nature symbolique. C’est le trait de fraîcheur qui est retenu pour les jeunes filles. Quant à l’alliance, elle est qualifiée de « sans odeur », trait éminemment symbolique puisque Lol, mariée, vit un personnage social d’absente, loin de tout Éros comme l’évoquent les termes « d’objet inutilisé ». L’odeur, comme l’avaient signalé Cosnier et Brossard, cités par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 138), est ainsi fortement reliée à la sexualité. Mais, à la différence de ce qui se produit dans la vie courante, elle n’est chez Duras ni censurée, ni prohibée. Nous la retrouvons aussi dans Les yeux comme trace de rapport sexuel et comme possible transfert sur la femme du désir homosexuel de l’homme :

‘Il dit : Dans vos cheveux, sur votre peau, il y a un nouveau parfum, difficile de dire quoi.
Elle baisse les yeux pour le dire. Ce n’est pas seulement son parfum à elle, c’est aussi celui de l’autre homme. S’il le désire, elle viendra avec sur elle le seul parfum de cet homme, demain, s’il le désire (Yeux : 79).
C’est alors qu’elle serait supposée s’être endormie qu’il regarde ce que l’autre homme a fait sur le corps [...]. Ce jour-là, le parfum de l’homme est très fort, il est modifié par l’odeur de la sueur, celle de la cigarette, celle du fard (Yeux : 103-104).’

Et toujours dans le même roman, cette odeur qualifiée de « sexuelle » figure au sein d’une énumération, où elle se trouve autant banalisée que l’odeur des meubles :

‘La description du décor, de l’odeur sexuelle, celle des meubles, de l’acajou sombre, devrait être lue par les acteurs à égalité de ton avec le récit de l’histoire (Yeux : 21-22).’

Quant aux sensations tactiles, elles ne sont pas décrites. Dans les textes durassiens, il y a bien caresses, embrassades et actes sexuels, mais ce sont les gestes qui sont mentionnés, non les sensations produites comme le montre cet exemple de Détruire où ce qu’Alissa éprouve sous la caresse reste dans le non-dit du texte :

‘Stein caresse les jambes d’Alissa. Il la presse contre lui (Détruire : 131).’

Nous les étudierons donc avec les cinétiques. Les notations thermiques sont elles aussi importantes, puisque la plupart des romans durassiens se déroulent sous une chaleur accablante, écrasant les êtres, mais symbolique elle aussi du monde. Les différents personnages ont en permanence trop chaud. À côté de ces notations dues aux circonstances extérieures, existent les signaux thermiques reliés à l’émotionnel :

‘Max Thor tend la main et prend celle glacée d’Alissa, sa femme écartelée dans un regard bleu (Détruire : 42).
Il nous a parlé de la forêt, justement.
- Ah.
Élisabeth Alione a chaud tout à coup. Elle bouge la tête en arrière, cherchant l’air (Détruire : 63).’

Le premier exemple est de l’ordre du symbole. Alissa est un être de destruction, la main glacée est un symbole de mort. Pour le deuxième exemple, le coup de chaleur d’Alissa succède à l’évocation de la forêt, lieu où seuls les véritables êtres, ceux qui vivent sur le mode de la destruction, peuvent entrer. Il trahit chez Élisabeth Alione, un choc émotionnel. Ce choc est l’effet perlocutoire de l’assertion d’Alissa concernant la forêt.

Ceci confirme en tout point les constations faites au niveau des statiques : ce sont bien les êtres émotionnels et érotisés qui intéressent Duras, et bon nombre d’interactions entre les personnages se dérouleront sous le mode érotique et émotionnel.