1.2. Le langage verbal.

Sous cet intitulé, nous envisagerons en premier lieu les formules de politesse et ensuite, sous l’intitulé actes de langage, la façon dont elles s’articulent à ceux-ci.

1.2.1. Les formules de politesse.

De manière générale, on pourrait dire que l’expression « formules de politesse » revêt une extension beaucoup plus grande que l’usage courant ne le laissait présager. Ces expressions figées, appelées formules de politesse dans le langage courant, routines dans le langage linguistique et rituels dans le langage sociologique, apparaissent dès que les « faces » des interlocuteurs sont menacées d’une manière ou d’une autre. Dans le langage courant, l’expression renvoie à des formules vides172 (bonjour, comment allez-vous ?, merci...) qui servent soit à compenser une agression de faces, soit à réduire une menace envers les faces. En fait, elles sont, en général, de deux ordres : soit elles fonctionnent en « accompagnateurs » (adoucisseurs ou durcisseurs), soit elles fonctionnent en FFA, en anti-FTA, ou même en FTA et sont alors des procédés substitutifs173. Mais ces formules de politesse peuvent aussi être très impolies. Le recours à une expression figée pour produire un FTA ou en réponse à une attaque de face permet en quelque sorte de se déresponsabiliser en empruntant la voix du « on » à qui l’énoncé est imputable. Et il nous semble que le degré de figement est directement proportionnel au degré de la menace ou de l’agression opérée.

Pour les adoucisseurs, les interactionnistes, comme Kerbrat-Orecchioni (1992 : 215-223 ; 1996a : 57-58), opèrent encore des subdivisions. Le square offre une panoplie assez complète des différents adoucisseurs verbaux permettant d’accompagner une demande, un refus ou une contradiction :

‘- Je ne voudrais pas vous contredire, Mademoiselle, encore une fois, mais, quoi que vous fassiez, ce temps que vous vivez maintenant comptera pour vous, plus tard (Square : 47 ; nous soulignons).’

L’exemple illustre le cas d’un énoncé préliminaire où le type de FTA est annoncé. La stratégie consiste à nier l’intention illocutoire pour pouvoir formuler le contenu propositionnel. L’énoncé suivant, issu d’une des répliques du voyageur de commerce, vise à rectifier l’interprétation erronée de la jeune fille et comprend la présence d’un minimisateur qui a, selon Kerbrat-Orecchioni, pour fonction de réduire la menace par la façon dont on présente le FTA :

‘- [...] je veux simplement vous dire qu’il m’avait semblé que vous étiez une personne plus indiquée qu’une autre pour comprendre ce qu’on veut dire (Square : 80 ; nous soulignons).’

C’est d’un recours à un modalisateur, créateur d’une forme de distance entre sujet de l’énonciation et contenu de l’énoncé, dont témoigne cet exemple :

‘- Si vous voulez, Mademoiselle, c’est un peu ça. Peut-être ne sommes-nous en désaccord que sur ce que nous avons décidé de faire ou de ne pas faire de notre temps (Square : 40 ; nous soulignons).’

Un exemple de désarmeur qui, selon Kerbrat-Orecchioni, anticipe sur une réaction négative possible de la part du destinataire figure aussi dans une réplique du voyageur de commerce, en liaison avec l’acte de conseiller :

‘- [...] Évidemment je ne vous donne aucun conseil... Mais est-ce qu’une autre que vous, par exemple, ne pourrait à la rigueur faire un petit effort et espérer ensuite autant de l’avenir une fois que certaines corvées lui seraient épargnées ? (Square : 50 ; nous soulignons).’

Nous avons dans Le square, des amadoueurs, sortes de « douceur visant à faire avaler la pilule, sinon trop amère » pour reprendre l’expression imagée de Kerbrat-Orecchioni. Dans l’exemple, il vise à diminuer le FTA que constitue, pour la face positive de l’allocutaire, le fait de répondre à un précédent FTA :

‘- Monsieur, vous êtes bien gentil mais je n’en suis pas encore à très bien comprendre ce qu’on me dit (Square : 49-50 ; nous soulignons).’

Dans cet exemple, même l’appellatif « monsieur » peut fonctionner de la sorte, dans la mesure où il est le signe d’une marque de considération supérieure à la situation et à l’état des personnes. Quant au fait de s’attribuer à soi-même la responsabilité de la non-compréhension, il constitue aussi un adoucisseur, mais de pensée cette fois.

En général, d’ailleurs, la plupart des répliques, tant du voyageur de commerce que de la jeune bonne, cumulent les adoucisseurs verbaux. L’effet de conversation extrêmement polie est dû à ce cumul. Il est à noter que Duras, supprimant presque totalement le narrateur du roman, aucune indication de nature paraverbale ou non verbale ne vient compléter les propos des personnages et que c’est donc uniquement aux formules qu’incombe la tâche d’adoucir les FTAs. Nous y reviendrons.

Avant d’en arriver aux formules de politesse associées aux différents actes de langage, nous examinerons celles qui interviennent lors de l’agression territoriale conçue comme envahissement du territoire spatial concret.

Notes
172.

Kerbrat-Orecchioni (1992 : 195) indique que « plus une expression est figée ("gelée", dit-on en anglais), et plus elle risque d’être désémantisée — mais il ne faudrait surtout pas croire qu’elle se trouve pour autant "dépragmatisée" [...] ».

173.

Kerbrat-Orecchioni 1996a : 54.