2.3. Politesse et interactions.

Parmi les interactions reproduites dans les romans durassiens, certaines relèvent uniquement du contexte social et sont marquées par un code de politesse rituelle. Nous les appellerons, faute de mieux, les interactions mondaines. Elles vont des simples échanges phatiques, aux grandes scènes de réception en passant par les conversations de circonstance (enterrement, notaire, leçon de piano, bistrot) et par les visites dans un contexte plus familier. Elles correspondent presque parfaitement aux événements qui, selon Picard (1998 : 24), structurent à partir du XIXe siècle les traités de savoir-vivre (période correspondant à l’avènement de la classe bourgeoise) :

‘Au cours du XIXe siècle, en effet, la forme des traités change et se fige. Ils ne s’articulent plus autour de quelques grands principes mais deviennent pragmatiques et s’organisent selon les événements et les situations.
D’abord, ils se veulent des guides pour la vie quotidienne. La progression de leurs chapitres suit bien souvent celle des grands moments de la vie sociale des bourgeois de l’époque : de la demande en mariage aux obsèques en passant par la cérémonie nuptiale ou le baptême des enfants, au milieu desquels on intercale les devoirs et les plaisirs sociaux (visites, dîners, bals...).’

Duras, pour figurer l’univers social de ses romans, puise dans les interactions stéréotypiques de la classe bourgeoise. Seules, parmi l’énumération de Picard, ne se retrouvent pas les mariages (peu appropriés à la vision de l’amour durassien) et les baptêmes (comme tout rituel catholique, d’ailleurs). Ces interactions ont toutes la particularité d’être très ritualisées dans la vie réelle. Duras met en scène les différentes contraintes rituelles ou les commente sous la forme d’un récit d’interaction relevant du métadiscursif. Toutefois, dans chacune de ces interactions, un personnage - souvent le personnage principal - ne respecte pas les codes, une décharge émotionnelle s’en suit et tout le code rituel s’écroule. Les êtres reviennent alors à leur politesse individuelle et se comporte avec grossièreté ou cruauté.