2.3.2. Les conversations mondaines.

Si Debreuille (2000 : 353), lorsqu’il parle de la simple conversation, mentionne déjà son « caractère inoffensif et meublant » que dire alors de la conversation plus strictement mondaine ? Toute conversation mondaine est fondamentalement une conversation qui vise, comme nous l’avons vu, l’accord entre les participants et qui tente donc d’éviter autant que faire se peut tout FTA. Aussi aborde-t-elle des sujets généraux à thème consensuel ou des sujets censés être valorisants pour au moins un des interactants. Picard (1998 : 38-39) en résume les principales caractéristiques en ces termes :

‘Considérée autrefois comme la pierre de touche de la socialité (cf. le Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre), la conversation demeure une activité noble qui symbolise la convivialité aboutie : on doit y participer, et un invité qui reste silencieux commet la pire des incorrections.
Tout le monde doit pouvoir participer à une conversation dans l’aisance et la courtoisie. On doit éviter d’élever le ton, de contredire ses partenaires ou de leur faire remarquer qu’ils se trompent ou mentent. Il convient au contraire de leur permettre de briller, même aux dépens de son propre éclat. Les sujets doivent donc être choisis de telle façon que personne n’en soit choqué ou blessé et qu’aucune polémique ne puisse éclater.
Les préséances doivent aussi y être respectées. Par exemple, c’est la personne en position haute qui commence et souvent oriente une conversation.
Comme, on le voit, si les réceptions sont une sorte de culte rendu au savoir-vivre, la conversation est sans doute le rituel central de cette célébration.’

Chez Duras, ces conversations mondaines sont relativement nombreuses, mais elles sont rarement transcrites dans leur totalité au style direct et font souvent l’objet d’un discours narrativisé - quand ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler un récit de conversation. En fait, elles servent de contrepoids à la conversation intime plus associée à l’émotion et donc à des formes de féminité, comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Segalen (1998 : 69) explique, sur un plan sociologique, la cause profonde de ce contraste :

‘Plus sont accentuées les valeurs et les symboles de la masculinité, plus les activités tendent vers le rituel et la codification, et plus les femmes en sont exclues. À l’inverse, les activités collectives féminines sont peu porteuses de symboles. [...] La société moderne reproduit les grandes divisions sexuelles qui font qu’en tout temps et en tout lieu, les hommes sont collectivement chargés de manifester le sacré.’

Très proches de ces conversations, les conversations courantes des trains, de la rue, des bistrots ou des vacances sont également reproduites par les romans durassiens où elles prennent, souvent aussi, la forme d’un dialogue narrativisé ou d’un récit de conversation. La parole, nous l’avons vu, y est très stéréotypée et s’apparente très fort par sa forme aux échanges mondains des grandes scènes, mais la fonction romanesque en est différente parce que c’est plutôt « l’intention de vie » qui est recherchée par leur retranscription.