2.3.3. Les échanges mondains.

Si les scènes mondaines comportent assez peu de conversations intégrales, elles sont parsemées ça et là d’échanges « phatiques » et d’échanges « mondains ». Nous distinguons les deux parce que malgré certaines similitudes de rôle dans la vie réelle où ils servent essentiellement à confirmer le lien social, ils ne se situent pas au même moment de l’interaction et leurs fonctions romanesques diffèrent assez fondamentalement. Les « échanges phatiques » que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises font partie d’une des catégories établies par Durrer (1994 : 183-190). Ils bornent, comme elle le signale, l’interaction et n’ont pas, comme le dit Kerbrat-Orecchioni, de contenu sémantique véritable. Par contre les « échanges mondains » se situent dans le corps même de la conversation, ils ont une charge sémantique qui vise l’accord. Le thème abordé est obligatoirement consensuel (type : climat), il ne doit comporter aucune menace pour les interlocuteurs en présence et doit donc plutôt, pour éviter tout risque, être valorisant pour la face positive de l’interlocuteur (FFA). L’échange est alors souvent de l’ordre de l’épidictique. Ces échanges sont parfois reproduits à la forme directe :

‘- Jean aime de plus en plus la musique, dit Lol. Parfois il joue jusqu’au matin. Cela arrive de plus en plus souvent.
- C’est un homme dont on parle, on parle de ses concerts, dit Pierre Beugner. Il est rare qu’il y ait un dîner, une soirée où il ne soit pas question de lui.
- C’est presque vrai, dis-je.
Lol parle pour les retenir, pour me retenir, cherche comment me faciliter la tâche. Tatiana n’écoute pas (Ravissement : 100).’

Lol se met à parler positivement de son mari. Pierre Beugner enchaîne sur le propos dans l’épidictique, J. Hold confirme. Mais le narrateur, J. Hold en l’occurrence, dévoile l’intention cachée montrant par voie de conséquence à quel point ces propos restent extérieurs à Lol. La même chose se passe pour Anne Desbaresdes lors du repas chez elle.

L’intérêt réside dans la fonction très particulière que ce genre d’échanges occupe chez Duras où ils servent le plus souvent à montrer que la vraie vie n’est pas là. En général, l’héroïne y assiste mais sur le mode de l’absence, et ses pensées sont ailleurs.