1.1.6. La joie.

La joie présente la particularité d'être la seule émotion fondamentale de l'ordre de l'émotion positive représentée chez Duras. On la trouve sous la forme du rire, sa manifestation explosive et sous la forme aussi de ce que Bruckner et Finkielkraut (1977 : 259) appellent l'« émotion voluptueuse » et qu'ils définissent comme une « perception d'une déchirure qui n'ouvre à rien » et qui caractérise à merveille la jouissance ou l'extase durassienne. Cette émotion, comme le signale Harvey (1994 : 197), est très présente au sein de l'univers de la romancière :

‘Du côté de la vie, pourtant, on rit énormément dans ce monde durassien.’

Pourtant, la critique durassienne, toujours comme le signale Harvey, est relativement muette concernant cette émotion251 :

‘La critique a encore à rendre compte de la fréquence, du privilège même, du rire dans le répertoire des gestes vocaux des personnages de Duras (Harvey 1994 : 197).’

Harvey signale en note qu'il n'existe qu'une exception à cette attitude, l'essai de Marie-Thérèse Ligot sur le Barrage qui « se révèle être une des rares lectrices de Duras à avoir réfléchi sur la signification cruciale du rire ». Selon elle, ajoute-t-il, « le rire partagé érige une communion en barrière contre le régime oppressif ». Mais s'il est vrai que l'on rit énormément dans les romans durassiens, notre propos ne sera plus ici de refaire une étude exhaustive des différents aspects du rire - déjà envisagés dans la communication non verbale - mais plutôt de compléter l'étude de son lien avec l'émotion et de nous centrer sur l'émotion voluptueuse. La critique psychanalytique avait, en la personne de David (1996), qualifié l'écriture durassienne d'« écriture de la jouissance ».

Notes
251.

Il faut dire que, de manière générale, les émotions positives sont beaucoup moins étudiées que les émotions négatives. Lelord et André (2001 : 109) signalent le même phénomène chez les psychologues : « La joie est une émotion capitale. Pourtant, elle a été, si l'on peut dire, tristement négligée. Une étude récente montre que la recherche en psychologie a produit dix-sept fois plus de publications sur la tristesse, la peur, la colère, la jalousie et autres émotions négatives que sur la joie et les émotions positives ».