2. L'émotion visée.

Cette partie sera beaucoup moins développée que la précédente dans la mesure où, visant à montrer comment un auteur peut prétendre émouvoir son lecteur, elle relève, en fait, de la macrocommunication. Il ne s’agira pas tant d’étudier l’émotion éprouvée par le lecteur réel que celle qui est programmée par le texte en termes de possible, car, comme le dit Charaudeau (2000 : 137), « l’analyse du discours ne peut s’intéresser à l’émotion comme réalité manifeste, éprouvée par un sujet ». Mais, continue-t-il, « en revanche, elle peut étudier le processus discursif par lequel l’émotion peut être mise en place, c’est-à-dire traiter celle-ci comme un effet visé (ou supposé), sans jamais avoir de garantie sur l’effet produit ». Il s’agira donc d’examiner les traces de ce que Charaudeau appelle « l’effet compassionnel ou pathémisation ».

Cette visée émotionnelle correspond aux différentes strates du circuit communicationnel mises en lumière dans notre première partie. Certes, on pourrait nous faire le reproche de sortir ici du cadre strict du dialogue de personnages pour revenir à la macrocommunication. Une telle dérogation à nos principes d’organisation se justifie par la nature même du sujet traité : représenter l’émotion n’offre, comme nous l’avons dit, aucune garantie de la rechercher chez le lecteur, ni à plus forte raison de la provoquer. Il nous semble donc important, après avoir examiné la manière dont l’émotion est représentée dans les dialogues, d’analyser comment le texte peut porter les traces de l’émotion visée et de synthétiser l’ensemble des remarques qui sont déjà apparues, pour certaines, au fil de notre étude de l’émotion représentée.

Dans un contexte artistique, on pourrait affirmer que toute oeuvre littéraire (ou cinématographique) a des visées émotionnelles, car la communication fictionnelle est particulièrement apte à créer ce que Charaudeau appelle une « pathémisation »306 :

‘Ainsi, on observera que les dispositifs de la communication scientifique et didactique ne prédisposent pas à l'apparition de tels effets. [...] En revanche, les dispositifs de la communication fictionnelle (roman, théâtre, cinéma) et, pour des raisons différentes, de la communication médiatique s'y prêtent, [...] (Charaudeau 2000 : 140).’

Chez Duras, le problème prend une ampleur toute particulière puisque la romancière situe sa communication avec le lecteur essentiellement dans un partage de larmes :

‘Il s’agit d’une relation privée, entre le livre et le lecteur. On se plaint et on pleure, ensemble (Vie matérielle : 136).’
Notes
306.

Il la définit en ces termes (2000 : 140) : « la pathémisation peut donc être traitée discursivement comme une catégorie d'effet qui s'oppose à d'autres effets comme l'effet cognitif, pragmatique, axiologique, etc. ».