2.3. Conclusion.

Ainsi, représenter l’émotion n’offre aucune garantie de la provoquer chez le lecteur réel, et l’émotion visée ne correspond pas nécessairement à l’émotion représentée. L’auteur peut choisir de représenter la tristesse pour faire rire ou le rire pour faire pleurer. En fait, il est même rare qu’une empathie profonde soit réellement programmée. Un auteur peut espérer, en renvoyant à des situations universelles de déclenchement d’émotion, en construisant son roman sur des mécanismes d’ascension et de chute, favoriser les mécanismes de projection ou de catharsis et réussir à créer ainsi une émotion chez son lecteur en référant à son vécu ou à ses peurs. Les seules prétentions qu’il puisse véritablement avoir sont d’une part, de construire une représentation de l’émotion telle qu’elle puisse, en vertu de l’expérience du monde du lecteur, l’amener à une compréhension émotionnelle du personnage et d’autre part, de provoquer chez lui une émotion esthétique où beauté du style, originalité créeront à la fois un plaisir du texte et un effet de surprise.

Duras, quant à elle, déclare écrire dans l’émotion et affirme vouloir faire partager cette émotion au lecteur. Toute sa mise en texte correspond à cette intention formulée depuis les situations universelles jusqu’à l’utilisation de renforceurs, toutes les stratégies sont mises en place pour faire partager au lecteur la douleur du monde et provoquer chez lui une forme d’indignation et de révolte face à l’absence de Dieu ou de sens, face à l’organisation du monde qu’il faudrait peut-être détruire. Son écriture émotionnelle n’atteint jamais le mélodrame, même avec Les yeux où elle pousse le jeu jusqu’à saturer l’écrit de notations émotionnelles, mais la perte de dignité des héros, la prostitution extérieure sont en permanence présentées comme un récit d’acteurs coupant l’empathie possible. Et le roman dans sa totalité apparaît comme un jeu de l’écrit.