3.2. La triade.

La triade apparaît chaque fois que trois personnes sont en présence ensemble dans un lieu donné. Ces trois personnes peuvent entrer en interactions verbales ou non. Si elles n'entrent pas en interactions verbales, nous aurons une triade pure. Le cas se produira dans L'amour où trois personnages déambulent pendant huit pages dans un même lieu en s'observant l'un l'autre sans se parler, mais aussi dans Le ravissement lors de la scène du bal qui rive Lol, par le regard, au couple de danseurs que forment Anne-Marie Stretter et Michael Richardson, lorsque Lol épiera J. Hold et Tatiana en train de faire l'amour ou encore dans Détruire où Stein observe Max Thor et Alissa en train de s’aimer dans leur chambre.

Si les personnages entrent en interaction verbale, trois structures apparaîtront : soit la triade donnera lieu à un trilogue, soit elle évoluera en dilogue avec témoin, soit elle engendrera une métamorphose de dilogues. Le principe semble simple, mais les limites entre trilogue et dilogue à témoin, ainsi que celles entre polyade, triade ou dyade, ne sont pas toujours aussi faciles à cerner dans la pratique, comme le montrent les hésitations du collectif sur Le trilogue (1995)326. Les procédés littéraires compliquent encore l'identification des triades. Faudra-t-il, à titre d'exemple, considérer les interactions entre les brothers et les sisters et Jeanne et Ernesto comme polyadiques ou triadiques dans la mesure où les brothers et sisters sont à la fois un et pluriels ? Celles entre Élisabeth Alione et le trio Max Thor-Alissa-Stein comme dyadiques ou tétradiques dans la mesure où un personnage isolé rencontre un trio marqué ? Pourquoi dans Moderato considérera-t-on les leçons de piano comme trilogues alors que les rencontres Anne-Chauvin, se déroulant en présence de la patronne du bistrot, seront, pour nous, à classer au sein des dilogues ?

À notre avis, pour qu'il y ait trilogue au sein de la triade, il faudra que les trois personnes présentes dans un même lieu interactionnel puissent se répartir les rôles conversationnels actifs en faisant apparaître soit deux locuteurs, soit deux allocutaires et donc qu'ils appartiennent à ce que Goffman appelle « les participants ratifiés », mais aussi que les trois partenaires échangent autour d’un même sujet ou partagent un objectif commun dans la conversation. Deux contraintes donc, dont l'une concerne le cadre participatif et l'autre le thème et la structure de la conversation. Ainsi le trilogue sera-t-il une triade particulière où les trois participants sont agréés, même si un personnage reste plus silencieux et aura alors le statut que Goffman qualifie d'unadressed. Mais, si le troisième élément est un bystander, toujours selon la terminologie goffmanienne, la triade sera dilogue327. À noter aussi qu'une triade pourra faire apparaître un échange trilogal marginal par rapport à l'objet de la conversation sans pour cela transformer toute l’interaction en trilogue.

Notes
326.

Kerbrat-Orecchioni & Plantin (éds).

327.

Kerbrat-Orecchioni 1990 : 86-87.