3.3. Le trilogue.

Le véritable trilogue, nous l'avons dit, impose trois participants agréés ou ratifiés329 qui jouissent tous les trois d'une égalité potentielle de rôles conversationnels même s'ils n'utilisent pas toujours cette possibilité à part égale. Cette égalité potentielle n'exige pas, à notre avis, une alternance parfaite des tours de parole, car un seul échange réactif suffirait à assurer la complétude de l'échange. La seule chose réellement menaçante pour le trilogue est l'existence d'un personnage silencieux qui transformerait le trilogue en dilogue avec témoin. Aussi Traverso énonce-t-elle cette règle de fonctionnement selon laquelle :

Tout doit être fait par l'ensemble des participants pour que le tiers ne reste pas un tiers, mais participe de façon même minimale à l'échange en cours (Traverso 1995 : 51).’

Et le romancier par les « il/elle se tait » a le moyen technique d'établir la distinction entre le témoin et le participant agréé, nous y reviendrons.

Comme pour la triade, où une instance collective pouvait occuper une position unique, il arrive qu'« une instance collective puisse [...] jouer le rôle d'un locuteur unique », comme l'indique Kerbrat-Orecchioni (1995a : 23). Ainsi, dans La pluie, les brothers et les sisters sont des « instances collectives ». Nous les considérerons donc comme un élément unique parce que le texte littéraire les présente comme une seule instance même si, référentiellement, ils sont plusieurs.

Dans le cadre des interactions réelles, Kerbrat-Orecchioni (1995a : 2-19) a mis en évidence plusieurs mécanismes de fonctionnement du trilogue.

Le premier concerne les « rôles d'auditeur » et la difficulté de déterminer les destinataires effectifs des messages parce que l'adresse du message peut être soit collective, soit à destination d'un seul, qu'elle peut en outre se réaliser soit directement, soit indirectement. Des indices explicites comme les « séquences métacommunicatives » ou les pronoms de la deuxième personne accompagnés d'un appellatif peuvent indiquer l'allocutaire, mais il semble que ces marqueurs soient assez exceptionnels dans le texte conversationnel. Ce sont alors des indices implicites - « donc plus délicats à interpréter », comme la teneur des propos, l'orientation du corps, la direction du regard auxquels nous avons ajouté le sourire330 - qui serviront plus fréquemment à désigner l'allocutaire. C'est donc dans ce contexte qu'apparaîtra le trope communicationnel.

Le deuxième mécanisme mis en lumière par Kerbrat-Orecchioni concerne « l'alternance des tours de paroles ». En général, l'identité du « locuteur suivant » est lié à allocutaire, sauf dans le cas d'une adresse collective où le locuteur suivant doit « s'auto-sélectionner ». Les chevauchements de paroles et les silences inter-tour (ou gaps) ont eux aussi un statut particulier.

Au niveau des « actes de langage », la valeur illocutoire de l'acte change selon les destinataires. L'ordre donné au destinataire direct est en fait une information pour le destinataire indirect. Et c'est à ce niveau qu'intervient le deuxième trope, le « trope illocutoire » étudié par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 99-100).

La structuration des trilogues pose, elle aussi, des problèmes spécifiques, concernant notamment l'enchaînement des répliques, le nombre d'interventions à dénombrer lorsqu’un énoncé est construit par deux locuteurs et la troncation des échanges.

Le dernier mécanisme repéré est celui de la « construction de la relation interpersonnelle » dans la mesure où le trio se scinde en deux/un avec soit un duo consensuel, soit un duo conflictuel avec un tiers qui assume soit la fonction de médiateur, soit de tertius gaudens, soit de despote. Ces trois fonctions présupposent cependant que le tiers accepte de jouer un rôle dans le duo formé, point qui méritera donc un approfondissement. Traverso (1995 : 29-51), quant à elle, a répertorié et catégorisé les différents types d'échanges qui pouvaient s'y produire.

Toutes ces observations fondamentales faites dans le cadre d'interactions authentiques trouveront leur pertinence dans l'analyse des trilogues durassiens, mais, à notre avis, il faudra tenir compte également de paramètres tels que la formation de la triade et de l'impact de celle-ci sur l'entrée en trilogue, parce qu'ils conditionneront fortement la nature des échanges et le problème du ménagement des faces.

Notes
329.

 Nous utiliserons désormais les deux termes indistinctement.

330.

Voir le chapitre consacré à la communication non verbale.