4. Le polylogue durassien.

Avant toute chose, nous préciserons qu’il ne nous semble pas empiriquement correct de situer les structures à quatre au sein des polylogues ou des polyades. André-Larochebouvy avait ouvert la voie à ce type d’analyse lorsqu’elle disait :

‘La conversation triadique est de ce fait fondamentalement différente de la conversation dyadique, tandis que les conversations à quatre et à plus se réduisent en général à des structures dyadiques et triadiques (André-Larochebouvy 1984a : 47).’

Cette remarque assimilant la conversation à quatre au polylogue ne tient pas compte de certains particularismes des structures à quatre. Tout d’abord au niveau relationnel, la famille se compose souvent du père, de la mère et de deux enfants. Des outils matériels comme la voiture semblent tenir compte de cette structure de base : place du chauffeur, du passager et deux places arrière. Bien sûr, nous dira-t-on, cette structure peut se réduire à père-mère-enfants, c’est-à-dire à un trio, mais que faire alors des relations entre enfants qui peuvent être d’ordre égalitaire ou d’ordre hiérarchique en fonction de l’âge et du sexe ? D’autre part, qu’est-ce qui justifie la réduction à un trio ? Elle pourrait tout aussi bien se réduire à un duo, le couple mère-père contre le couple enfants. On voit alors que ce qui préside à ces scissions relève de considérations telles que l’autorité ou le statut des acteurs sociaux : a-t-on une vision égalitaire du couple père-mère ou, au contraire, considère-t-on que la mère est une sorte d’état-tampon entre l’autorité du père et les enfants ? Dès lors, ce qui préside à la constitution de coalitions est une vision très subjective des rapports au sein des structures quadrangulaires. Pour notre part, nous préférons considérer que le quatuor est une structure à part entière inscrite dans les structures profondes de la mentalité humaine, au même titre que les duos ou les trios. Nous n’en voulons pour preuve que les formes géométriques existantes. En géométrie, se distinguent la droite unissant deux points, le triangle reliant trois points et les quadrilatères (carrés, losanges, parallélépipèdes rectangles et trapèzes), et après seulement les polygones (pentagone, hexagone, heptagone, octogone...). Si nous avons fait ce détour par la géométrie, c’est parce que nous croyons, à l’instar de Leibniz et de Guillaume par la suite, que nous « pensons en figures » et que, dès lors, les configurations géométriques, notamment, peuvent reproduire nos structures profondes de pensées, lesquelles se retrouveront dans les structures relationnelles ou interactionnelles que nous créons. Aussi la géométrie nous servira-t-elle de guide, elle qui distingue et identifie toutes les figures jusqu’à quatre et qui les indifférencie, par la suite, sous l’appellation générique de polygone. Si nous transférons aux structures relationnelles, interactionnelles ou conversationnelles cette conception géométrique, nous constatons que la famille père-mère et deux enfants intégrant le modèle implicite d’une fille et d’un garçon est en fait la famille idéale. Nous voyons tout de suite qu’à la différence du trio qui est toujours quelque peu subversif ou conflictuel (structure des farces et des vaudevilles, structures familiales à problèmes), le quatuor est considéré comme le modèle normé socialement et présenté en modèle idéal comme le carré au Moyen Âge était considéré comme symbole de la perfection humaine par opposition au cercle, modèle de perfection divine. Il semble que l’analyse conversationnelle n’ait pas, jusqu’à ce jour, tenu compte des données géométriques, anthropologiques et sociales lorsqu’elle relègue le quatuor dans les structures indifférenciées. Autre preuve de la pertinence sociale de cette structure, sont les nombreux jeux de cartes qui se jouent à quatre avec des coalitions 2-2 négociables en fonction du jeu comme au whist ou prédéfinies comme au bridge et surtout les relations entre couples d’amis qui peuvent se concrétiser en tétralogues fonctionnant en véritables conversations à quatre ou en chassés croisés ou en dilogues femme-femme, homme-homme, femme A et homme B. La situation menaçante étant femme A-homme A et femme B-homme B parce qu’elle témoigne de la non-pertinence de la rencontre entre couples. La résolution en trilogue et l’isolement d’un membre étant alors un signe plus qu’évident d’exclusion sociale. Dès lors, au sein de ce que d’aucuns appellent polylogue, consacrerons-nous une place toute particulière aux quatuors, tétrade et tétralogue. Nos hypothèses formulées à partir d’éléments complètement extérieurs à notre objet d’étude demanderaient bien sûr à être confirmées par l’analyse des conversations réelles. Il serait intéressant à notre sens d’étudier si, au sein d’un repas entre couples d’amis, les conversations alternent à la fois les échanges à quatre et les dilogues par paires ou par chassés croisés et si la structure conversationnelle couple réel contre couple réel est bien jugée menaçante comme la structure trois-un. L’une menacerait le sens de l’interaction, l’autre viserait l’exclusion d’un membre lui déniant le droit de faire partir de la tétrade ce qui aurait un effet plus que menaçant pour la face positive si celui-ci n’est pas a priori un inférieur par son statut (enfant, personnel domestique, grands-parents ou arrière grands-parents).