Introduction

Les romans que nous nous proposons d’explorer sont le gîte d’un fourmillement d’inscriptions et de signifiants qui en font des textes instables, résistant à l’interprétation. Ainsi le lecteur de Heart of Darkness 1, Nostromo 2, et Under the Volcano 3 est-il invité à lire et relire ces textes aux écritures circulaires, traversés par des lignes de faille qui, tel le fleuve Congo de Heart of Darkness, charrient des restes, des bribes de langage que l’artiste récupère et accommode pour en faire une oeuvre d’art4. Ainsi, les phonèmes font résonance dans l’inconscient du lecteur, un peu comme le fait le trait d’esprit5. Les notions de reste, de mélodie et de rythme seront centrales pour notre étude des textes de Joseph Conrad et Malcolm Lowry. Ces derniers ont laissé de précieuses indications dans leur correspondance; ainsi, un an avant sa publication, Lowry écrivait à Jonathan Cape, à propos de Under the Volcano :

It moves like a swiftly flowing river in spring; — I should say in spate almost: yet it is clear & pure & sweeps little debris along with it. In a curious way, vengeful though its resolution is, it seems to transcend itself, so that when you have finished it you find yourself poetically & imaginatively enriched & its song does not leave you6.

Virginia Woolf, quant à elle, parlait de la « musique sombre de la prose conradienne »7. Et Conrad utilisait la métaphore du noyau obscur autour duquel se déployait un halo, une illumination spectrale :

But Marlow was not typical...and to him the meaning of an episode was not inside like a kernel but outside, enveloping the tale which brought it out only as a glow brings out a haze, in the likeness of one of those misty halos that sometimes are made visible by the spectral illumination of moonshine.

Conrad et Lowry, nous a-t-il semblé, étaient pleinement conscients du vacillement qui borde le chaos, le noyau obscur ou encore l’horreur. Mais le travail de l’artiste, c’est précisément de faire autour de ce chaos, puis de récupérer l’objet afin de l’élever à la dignité de la Chose. En d’autres termes, de sublimer l’objet perdu et d’ordonner le chaos assourdissant (« a chaos without melody »8) en un « odd but splendid din »9. D’où le titre volontairement énigmatique de notre travail : « La musique sombre du chaos ». En cherchant ainsi à dire l’indicible, Conrad, et peut-être encore davantage Lowry, se sont eux-mêmes élevés au rang de « poèthes », en ce sens qu’ils se sont « abouchés » au Monde :

L’activité du poète est métamorphosante, par le changement de structure de l’être et de pensée qu’elle met en oeuvre. Le poème est le cheminement, la fracture ou l’éclat par lesquels l’homme fait exploser les barrières de la subjectivité et de l’objectivité instituées, pour s’« aboucher » au Monde.10 

Environ quarante ans séparent Heart of Darkness et Nostromo de Joseph Conrad d’Under the Volcano de Malcolm Lowry. Des époques, des textes, des auteurs différents, mais au-delà de ces clivages, nous tenterons de mettre à jour des écritures et des conceptions esthétiques convergentes qui couvrent en quelque sorte le fossé creusé par le temps, l’espace et les personnes.

Si le travail interprétatif, ou encore, le déchiffrage des textes, ressemble parfois à ce que Lacan a appelé « l’essoreuse à produire du sens11 », nous avons pris garde de ne pas nous engager dans cette voie, mais plutôt dans celle d’une lecture à l’écoute des chatoiements, ondulations, ridules et vibrations qui touchent le lecteur prêt à recevoir et aussi à donner de lui-même lors de cet échange. Nous tenterons de voir comment les cercles chronologiques de Conrad (« chronological looping method »12) rencontrent les cercles concentriques, propres à l’esthétique de Lowry.

Très tôt dans notre recherche, nous avons vu se dessiner des ressemblances structurelles entre Nostromo et Under the Volcano. Il nous semble en effet que le texte de Lowry s’inscrit dans une continuité avec Nostromo, une continuité qui relèverait d’un héritage, d’un patrimoine que Lowry aurait su faire fructifier et amener à maturité pour le léguer au lecteur. Or, c’est précisément cette nécessité de dépossession de soi qui fait l’intérêt de ces textes énigmatiques.

En effet, les écritures de la modernité ont toujours suscité une émotion particulière, signe qu’il « se passe quelque chose ». Ainsi, une émotion qui tient de la « jouissance autre » a toujours accompagné nos rencontres avec les écritures de Henry James, Virginia Woolf, D. H. Lawrence, James Joyce, T. S. Eliot, William Faulkner ou encore William Gass. Ce qui pour nous fait lien entre ces auteurs, c’est le rapport qu’ils entretiennent avec ce que J. Lacan a appelé « lalangue » dans Le Séminaire. Livre XX, Encore. Les vibrations infimes qui agissent leur écriture font entrer le lecteur en résonance. Rien n’est donné, ni acquis dans ces textes marqués par la rupture épistémologique et le vacillement des semblants. Tout bouge et joue dans une oscillation incessante. Et pour le lecteur actuel, la chute des certitudes attachées aux semblants est d’autant plus déterminante qu’il vit dans un tourbillon techno-scientifique, dont une des fonctions est précisément de masquer la vulnérabilité accrue, déguisée en maîtrise et intelligence instrumentale infaillible. Ce déploiement de technologie au service de la maîtrise, à l’aube du xxie siècle, n’est-il pas simplement un écran13 fortement teinté et opacifié posé sur un système parcouru de lézardes béantes qui n’ont rien à voir avec la surface lisse dont on a banni la moindre vaguelette afin de maintenir les esprits dans une torpeur béate ?

Les écritures de la modernité nous parlent précisément de ces failles que les écritures réalistes, dites « bourgeoises », ont tenté de recouvrir. Or Joseph Conrad se situe, avec Heart of Darkness et Nostromo, aux premiers frémissements de la modernité encore prise dans les emplâtres du xixe siècle. Cette position liminaire de Joseph Conrad nous a semblé intéressante puisqu’elle met en scène un entre-deux socio-historique qui se retrouve dans une écriture à la fois réaliste et éminemment moderne, voire avant-gardiste si l’on fait abstraction de la « vêture du langage14 » qui a l’avantage de maintenir une certaine « lisibidinalité15 ».

En choisissant d’étudier ces romans de Joseph Conrad et Malcolm Lowry, nous avons opté pour deux auteurs qui marquent le début et la fin d’un mouvement littéraire qui n’a pas cessé d’évoluer en passant par des points paroxystiques avec James Joyce16, et arrivant à maturité avec Malcolm Lowry, au seuil du post-modernisme.

Ce n’est qu’assez tard que nous avons intégré Heart of Darkness dans notre étude, à l’origine basée sur deux romans « sud-américains » auxquels nous avions été tenté d’associer un troisième ouvrage, The Plumed Serpent, de D. H. Lawrence (1926). Cette trilogie était extrêmement séduisante et fera peut-être l’objet de recherches ultérieures.

La qualité sonore et sensorielle de Heart of Darkness a attiré notre attention et nous a entraîné vers l’Afrique, figuration magistrale de l’Autre culturel qui se dessine dans ces trois romans organisés autour d’un point de Tuchè, point de rencontre avec l’Autre. La forme condensée et non moins complexe de Heart of Darkness s’est avérée d’une grande richesse. A tel point que ce texte a peut-être tendance à supplanter Nostromo. Il nous semble que Heart of Darkness a eu un effet de rayonnement sur les autres textes et a contribué à révéler des aspects énigmatiques de Nostromo et Under the Volcano qui seraient peut-être restés enfouis dans les décombres de ces textes chaotiques. C’est probablement Heart of Darkness qui a éclairé notre lecture du « chaos sans mélodie » de Lowry, par un effet de résonance et de rayonnement qui finit par dépasser le cadre de la fiction littéraire pour faire entendre des sons fondamentaux.

Cette réflexion s’appuie sur divers ouvrages théoriques qui nous ont permis de proposer une lecture tendant vers une jouissance « autre », en résistance par rapport à la jouissance « phallique » caractérisée par la maîtrise. C’est pourquoi ce travail ne revêt pas une forme stable aux pourtours et contours nettement délimités. Nous avons pris le risque de renoncer partiellement à la maîtrise de textes qui à nos yeux s’y refusent de toutes leurs forces ainsi que leurs auteurs. De ce fait, notre propos étant tout de même quelque peu « phallique » dans la mesure où nous cherchons à bâtir une lecture organisée autour de quelques concepts de base, nous avons fait le pari d’une lecture qui oscille entre métaphore, métonymie et homophonie.

Il en résulte une lecture sensorielle qui trouve ses fondations intellectuelles et conceptuelles dans un appareil critique issu de la psychanalyse post-oedipienne. Nous n’avons pas cherché à « psychanalyser » les textes, et encore moins leurs auteurs, mais plutôt à analyser les zones d’ombre de textes énigmatiques en bien des points. Les théories développées par Jacques Lacan et d’autres comme Gilles Deleuze, André Green ou encore Julia Kristeva, ont joué un rôle essentiel dans notre recherche. Celle-ci s’est effectuée dans un va-et-vient entre théorie et texte, une relation à double sens dans laquelle il n’est pas question d’appliquer une grille d’interprétation qui irait à l’encontre de l’esprit dans lequel nous avons travaillé. Il en résulterait une lecture plaquée alors que nous avons oeuvré dans le sens d’une lecture flottante, à l’écoute des textes et de leurs bruissements.

Nous nous sommes parfois appuyé sur la théorie pour étayer des intuitions nées de rencontre inopinées17 avec les signifiants et les symptômes des textes, et d’autres fois nous sommes partis d’intuitions théoriques forgées par des lectures quelques fois ardues, pour en déceler des manifestations concrètes dans les méandres des textes. Ce sont à nouveau des rencontres qui ne sont pas le fruit du hasard, même si elle revêtent des allures de coïncidences. Toutes ces rencontres/coïncidences ne sont certainement pas fortuites ainsi que l’aurait pensé Malcolm Lowry : elles témoignent du rôle central que joue la littérature par rapport à la pensée. La fiction offre cette distance nécessaire à toute analyse et compréhension de phénomènes complexes. Elle est au critique, comme à l’écrivain, cette terre d’exil nécessaire puisqu’ils ne peuvent être au monde que dans la séparation.

Si la psychanalyse ne nous a pas forcément apporté de réponses définitives, elle nous a indiqué de nombreuses pistes de recherches stimulantes et parfois inattendues. De ces différents alluvions nous avons tenté de faire germer quelques idées quant à la façon de lire ces textes, eux-mêmes stratifiés à l’extrême. Mais avant de nous lancer dans un corps à corps avec les textes et les signifiants, nous avons tenu à explorer les rapports entre les variations de l’Histoire et les variations de la Structure Réel - Symbolique - Imaginaire définie par Jean-Claude Milner18, à la suite de Jacques Lacan. Comment ces trois concepts s’articulent-ils et font-ils structure dans l’Histoire ? Ceci suppose que la littérature ne se limite pas à une fiction, une diégèse plus ou moins bien « ficelée », dénonçant éventuellement tel ou tel phénomène socio-historique. En effet, il nous semble que la littérature tient une place essentielle dans l’Histoire en ce sens qu’elle nous dit quelque chose de la Structure de la pensée, de son évolution et de ses archaïsmes. C’est là qu’interviennent les notions de fantasme et de symptôme.

Le fantasme est du côté du scénario imaginaire et des identifications narcissiques et mortifères, tandis que le symptôme signale, pointe ce qui « cloche », que ce soit au niveau diégétique, narratologique ou — et nous verrons que cela se produit souvent — phonématique. Le symptôme s’inscrit à tous les niveaux de la chaîne signifiante et nous indique là où le texte peut se mettre à vibrer et donc toucher le lecteur. Il nous montre le point de Tuchè qui permet au lecteur d’entrer dans le texte sans le déflorer, en respectant la part d’énigme qui ne doit pas être dévoilée, la réserve de silence que tout critique respectueux de l’oeuvre d’art se gardera de franchir.

C’est pourquoi nous avançons que l’oeuvre d’art s’aborde comme une énigme, de biais, par anamorphose, car ce qui se cache derrière l’énigme, c’est le Réel de la Chose freudienne. Ce quelque chose d’indicible, d’innommable qui fascine les artistes, met en marche le désir et la créativité, et met en déroute celui qui cherche à maîtriser cette rencontre à tout prix.

Dans les oeuvres d’art, nous ne pouvons rencontrer la Chose elle-même : cela signifierait la mort de l’art. Mais, et c’est là la force, ou plutôt le tour de force de l’artiste, nous rencontrons, disséminés dans les textes ou les tableaux, des reliquats de la Chose que Lacan a appelés « objets (a) »19. Ce sont des objets substitutifs de la Chose innommable qui gravitent autour du noyau obscur du gouffre, de l’abîme. Ces objets morcelés et morcelants disent le manque, l’absence même de la Chose qui, par ces « ruines métonymiques »20, est présentifiée grâce à la mise en marche du désir actionné par le manque à dire.

Parmi les objets substitutifs fondamentaux définis par Lacan, figurent le regard et la voix : or nous verrons le rôle qu’ils jouent dans les textes de Conrad et de Lowry. Il semblerait que ces derniers articulent leur désir autour de ces « objets », établissant un immense réseau de connections visuelles, sonores, et kinesthésiques, lesquelles font entrer le lecteur qui accepte de laisser de côté l’idée de maîtrise du sens, dans un « internet » de signifiants s’ordonnant peu à peu. N’étant ni poète, ni écrivain, nous nous contenterons de voir comment Conrad et Lowry, écrivains-poètes accommodent ces restes de jouissance21 à la dérive22.

C’est en ce sens que nous nous pencherons aussi sur les notions de sacrifice, de renonciation et de dette symbolique à la charge de l’artiste dans un premier temps et de son interprète dans un deuxième temps. Il nous faudra aussi distinguer le langage de « lalangue »23, cette dernière résultant d’une trace émotionnelle de l’entrée du sujet dans le langage : peur, angoisse, joie, surprise, tristesse... Nous avons relevé des traces de lalangue, entre les lignes, les signifiants, les phonèmes. Et nous avons constaté que le bruissement de lalangue est omniprésent dans ces textes qui marquent, eux aussi, des moments-clés de l’entrée de la littérature dans la modernité.

Notes
1.
‘ Joseph Conrad, Heart of Darkness, 1902. Nous ferons référence à l’édition Penguin Twentieth-century Classics, Harmondsworth, 1985. Le sigle utilisé sera HOD.’
2.
‘ Joseph Conrad, Nostromo, 1904. Nous ferons référence à l’édition Penguin Twentieth-century Classics, Harmondsworth, 1990. Le sigle utilisé sera N.’
3.
‘ Malcolm Lowry, Under the Volcano, 1947. Nous ferons référence à l’édition Penguin Modern Classics, Harmondsworth, 1985. Cette édition inclut la lettre de Malcolm Lowry à Jonathan Cape, son éditeur. Le sigle utilisé sera UV.’
4.

« La civilisation c’est l’égout. L’avouer ou prononcé à l’ancienne, l’avoir dont Beckett fait balance au doit qui fait déchet de notre être, sauve l’honneur de la littérature » qui ne serait alors « qu’accommodation des restes » (J. Lacan, « Lituraterre », in Ornicar ?, n° 41, avril-juin 1987, p. 6)

5.
‘ J. Lacan avance que  « L’Autre se constitue comme un filtre qui met ordre et obstacle à ce qui peut être reçu ou simplement entendu. Il y a des choses qui ne peuvent pas être entendues, ou qui habituellement ne sont plus jamais entendues, et que le mot d’esprit cherche à faire entendre quelque part en écho. Pour les faire entendre en écho, il se sert justement de ce qui y fait obstacle, comme de je ne sais quelle concavité réflectrice. [...] Le petit autre participe à la possibilité du trait d’esprit, mais c’est à l’intérieur de la résistance du sujet [...] que va se faire entendre quelque chose qui retentit beaucoup plus loin, et qui fait que le trait d’esprit va directement résonner dans l’inconscient. » (Le Séminaire. Livre V. Les Formations de l’Inconscient, Paris, Seuil, mai 1998, p. 119)’
6.
‘ Ed. S. E. Grace, Sursum Corda! The Collected Letters of Malcolm Lowry. volume 1: 1926-1946, University of Toronto Press, 1995, p. 603. Les références ultérieures à cet ouvrage se feront sous le sigle CLML 1 .’
7.

The Common Reader, volume 1, Londres, The Hogarth Press, 1984, p. 224.

8.

En 1941, dans une lettre à Conrad Aiken, Lowry écrit : « [...] the world seems to have reeled away from one altogether into a bloodshot pall of horror and hypocrisy, a chaos without melody. » (CLML 1, p. 383.)

9.

Toujours à son ami Conrad Aiken, Lowry écrit en 1940, à propos de Under the Volcano : « [...] a strange book and I think it makes an odd but splendid din. It is the first book of mine that is not in one way parasitic on your work. » (CLML 1, p. 309.)

10.

Jacques Garelli, L’Entrée en Démesure suivi de l’écoute et le regard et de lettre aux aveugles sur l’invisible poétique, Paris, José Corti, 1995, p. 82.

11.
‘ Jacques Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », in Ecrits I (Paris Seuil, Points, 1966, p. 255).’
12.

Joseph Warren Beach, The Twentieth Century Novel, New York, 1932 ; cité par Ian Watt, in Conrad, Nostromo, Landmarks of World Literature, Cambridge University Press, 1988, p. 37). Nous renvoyons aussi à l’ouvrage de Jakob Lothe, pour les questions de narratologie concernant Conrad, Jakob Lothe, Conrad’s Narrative Method, Oxford, Clarendon Press, 1989.

13.

André Glucksman analyse cette question : « Le décalage entre l’intuition de l’événement et sa compréhension, l’effort, sur scène et dans la tête du spectateur, pour joindre les deux bouts, afin que ce qui, sous nos yeux, crève les yeux, enfin parle, voilà qui définit toute littérature digne de ce nom. Elle déchiffre, dans les entredéchirements pathétiques, dérisoires, mondains des corps et des âmes, “la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquence réellement vécue” [Marcel Proust]. » (La Troisième Mort de Dieu, Paris, NiL, p. 76-77)

14.
‘ Expression forgée par Serge Leclaire. Conrad a utilisé une métaphore similaire sur laquelle nous reviendrons ultérieurement : « And everybody knows the power of lies which go about clothed in coats of many colours [...] » (« The Crime of Partition », in Notes on Life and Letters, 1921, London, Dent, 1949, p. 133.)’
15.
‘ Nous empruntons ce terme à Michel Cusin. Celui-ci a le mérite d’allier la dimension libidinale à celle plus rationnelle de la lecture en tant que déchiffrage.’
16.
‘ Celui-ci a sérieusement mis en péril la « lisibidinalité » de Finnegans Wake (1931).’
17.

Tuchè en grec désigne la rencontre et aussi le hasard.

18.
‘ « Il y a trois suppositions. La première, ou plutôt l’une, car c’est déjà trop que d’y mettre un ordre, si arbitraire qu’il soit, est qu’il y a : proposition thétique qui n’a pas de contenu que sa position même — un geste de coupure, sans quoi il n’est rien qu’il y ait. On nommera cela réel ou R. Une autre supposition, dite symbolique ou S, est qu’il y a de la langue, supposition sans laquelle rien, et singulièrement aucune supposition, ne saurait se dire. Une autre supposition enfin est qu’il y a du semblable, où s’institue tout ce qui fait lien : c’est l’imaginaire ou I. » (Jean-Claude Milner, Les Noms Indistincts, Paris, Seuil, 1983, p. 7.)’
19.

« L’objet a est quelque chose dont le sujet, pour se constituer, s’est séparé comme organe. Ça vaut comme symbole du manque, c’est-à-dire du phallus, non pas en tant que tel, mais en tant que manque. » (J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les Quatre Concepts Fondamentaux de la Psychanalyse, Paris, Point Seuil, Essais, 1973, p. 95).

20.
‘ J. Lacan introduit la notion de « ruines métonymiques » à propos du trait d’esprit du « fat-millionnaire » en disant que « ce qui vous met sur les traces du signifiant perdu, ce sont les ruines métonymiques de l’objet. » (Le Séminaire, Livre V, Les Formations de l’Inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 42). Puis il parle de la « chose métonymique, avec toutes ces chutes de sens, étincelles, et éclaboussures, qui se produisent autour de la création du mot famillionnaire, et qui constituent son rayonnement, son poids, ce qui en fait pour nous la valeur littéraire. », ibid., p. 44.’
21.
‘ Michel Cusin avance l’hypothèse selon laquelle « S’il existe un savoir sur la jouissance, il ne peut être atteint que dans les traces du symptôme ou de la lettre ». Il en déduit que puisque les poètes sont des hommes de lettre avant tout, ils « réesquisseraient peut-être, réactiveraient sans doute, l’hypothétique lettre première ». Michel Cusin poursuit et conclut ainsi ce bel article : « Pourquoi donc le succès des poètes fait-il l’envie des analystes ? Les poètes seraient-ils tout simplement passés maîtres dans l’art d’accommoder les restes de la jouissance, ces bouts de réel, ces objets (a), qui en font des “poâtes” ? Ou bien plus prosaïquement et plus latinement, alors que l’on naît poète (“nascuntun poetae, fiunt oratores”), n’en aurait-on jamais fini de devenir analyste ? » (Michel Cusin, « Le langage et la jouissance dans le discours poétique sur un Dizain de Maurice Scève », in La lettre et l’écrit, Deuxième colloque de PERU, Psychanalyse et Recherche Universitaires, Rangueil, COREP, 1995)’
22.

Michèle Rivoire conclut ainsi sur le travail du critique : « Il ne s’agit pas cependant de faire aimer les oeuvres, ni de prouver qu’on les aime, mais de saisir comment, et avec quel degré de rigueur, chacune traite “l’objet indescriptible” par le travail de l’écriture et de la lettre. La charité des créateurs consiste à métamorphoser “la jouissance autiste du sujet en une joie artiste” (M. Cusin), qui elle, est partageable. » (« Limites et croisements entre l’interprétation psychanalytique et l’interprétation littéraire », Lyon 2, Etudes doctorales Humanités, le 28. 10. 2000)

23.

Jacques-alain Miller propose de faire une première distinction : « Le language – disons-le comme ça en première approximation – est second par rapport à lalangue [...] Le langage est le résultat d’un travail sur lalangue. C’est une construction de lalangue. [...] “Le langage est une élucubration de savoir sur lalangue” (Lacan, Le Séminaire, Livre XX) », J-A Miller poursuit plus avant : « Dire “lalangue” en un seul mot, c’est justement désigner lalangue du son, lalangue supposée, celle d’avant le signifiant-maître, celle que l’analyse semble délivrer et déchaîner. [ ...] Lalangue est le dépôt, le recueil des traces des autres “sujets”, c’est-à-dire ce par quoi chacun a inscrit, disons, son désir dans lalangue [...] » (Jacques-Alain Milller, in « Théorie de lalangue (rudiment) », adresse au Congrès de l’Ecole Freudienne, Rome, le 2 novembre 1974 in Ornicar ? n°1, Le Champ Freudien, Janvier 1975, pp. 30-32)