7. Paradis Perdus

Alcoolisés ou non, les liquides qui s’écoulent dans Under the Volcano participent du même motif de flux qui finit par échapper au contrôle que l’homme essaie de lui imposer. La laiterie dans Under the Volcano fournit un excellent exemple de contrôle du flux, et qui plus est, du flux du corps maternel par association avec le lait qui remplit les seaux étincelants de propreté :

‘A row of shining milkpails stood outside the stables in the sun. A sweet smell of milk and vanilla and wild flowers hung about the quiet place. And the sun was over all. (UV, 148) ’

Vision idyllique et illusoire de maîtrise du flux qui fascine Yvonne et complète le réseau de signifiants de maîtrise qui entoure son personnage. C’est bien elle qui tente de remettre de l’ordre dans le jardin de son ex-mari laissé à l’abandon — « ‘Isn’t the garden a wreck?’ » (UV, 141) — dit-elle à Hugh qui vient d’arriver de Mexico City. Ou peut-être devrions-nous lire là une tentative de sauvetage188 du « bateau ivre » qu’est le Consul. Mais la coupure et la castration semblent présider à cet acte apparemment gratuit et généreux, signant définitivement la perte du navire. Tout au long de cette conversation, Yvonne poursuit son opération de remise en ordre. L’insistance avec laquelle l’activité de désherbage d’Yvonne revient tout au long de la conversation en fait un symptôme de son désir de maîtrise189; aussi désir de prendre un second départ comme le fait de « pincer » les fleurs fanées (« plucking the dead blossoms from potted plants », 139) permet à la plante de « repartir ». Notons l’ambiguïté de ce geste qui fait aussi penser à l’expression « nipped in the bud », « tué dans l’oeuf » qui ferait allusion à la face cachée d’Yvonne, celle qui n’a voulu donner au Consul ni enfant ni amour.

Les deux niveaux narratifs qui se croisent et s’entrecroisent tout au long de la scène de retrouvailles de Hugh et Yvonne semblent se rejoindre, en une sorte de condensé lorsque Hugh maîtrise la branche rebelle qu’Yvonne avait tenté de contenir plus tôt, tout en évoquant la bataille de l’Ebre, et des marches qui restent mystérieuses :

‘Hugh had mastered the branch — they are losing the battle of the Ebro because I did that — and there were the steps; Yvonne grimaced, moving down them, and halted near the bottom to inspect an oleander that looked reasonably poisonous, and was even still in bloom [...] (UV, 141)’

La symbolique du jardin est cette fois-ci complète avec le laurier toxique qui fait penser en premier lieu au serpent biblique et aussi aux serpents de la vallée de San Tomé baptisée « the Valley of snakes » dans Nostromo. Nous observons la même nostalgie utopique chez Yvonne que chez Mrs Gould pour un paradis perdu, qui n’a probablement jamais été un paradis, si ce n’est dans leur imaginaire prompt à recouvrir les failles et les irrégularités d’une réalité intolérable, c’est-à-dire, le Réel.

Un petit détail dans la narration dont Hugh est le regard focalisateur, peut se lire comme un signal indiquant l’impossibilité de l’entreprise de maîtrise sur le monde végétal d’Yvonne. Celle-ci sera toujours contrée par cet « overflux », cet « en-trop », qui trouve toujours son chemin :

‘A lizard vanished into the bougainvillea growing along the roadbank, wild bougainvillea now, an overflux, followed by a second lizard. Under the bank gaped a half-shored-in hole, another entrance to the mine perhaps. (UV, 143 ; c’est nous qui soulignons)’

Les efforts d’Yvonne sont en quelque sorte balayés par l’invitation de Hugh à la suite duquel Yvonne s’engage dans une promenade périlleuse, risquée au sens littéral peut-être, et surtout figuré, étant donné la sensualité, voire l’érotisme, qui se dégage de ce chapitre.

En effet il semble se dessiner une analogie entre les deux lézards (probablement en mal d’amour) et le couple Yvonne-Hugh. Il peut aussi s’agir d’une métaphore proleptique de la fin tragique d’Yvonne et du Consul qui mourront au fond du gouffre, unis et séparés, à l’image des deux lézards qui se précipitent dans le trou béant qui mène peut-être à la mine — « another entrance to the mine perhaps. » — ou à la barranca, raccourci pour l’enfer souterrain qui s’avère être sur terre190 ? Cette façon de contenir la narration et la diégèse, de la mettre en abîme jusque dans des scènes minimalistes de ce type qui relève presque d’une observation d’entomologiste, dit la tentative de maîtrise de l’écriture et dans le même temps, cette maîtrise est immédiatement décrite et décriée comme une impossibilité à cause de la nature même de l’écriture qui est faite de cet « overflux », cet « en-plus », ou « petit-plus-de-jouir » qui se dit dans ce moment de vacillement qui laisse passer le cri de l’écrivain que nous retrouvons dans la correspondance de Lowry.

Notes
188.
‘ “To snatch in a moment of courage, from the remorseless rush of time, a passing phase of life, is only the beginning of the task. The task approached in tenderness and faith is to hold up unquestioningly, without choice and without fear, the rescued fragment before all eyes in the light of a sincere mood.” (J. Conrad, Préface à The Nigger of the Narcissus, London, Dent, 1974, p. xxvi )’
189.
‘ Tous les gestes d’Yvonne sont coercitifs, et dénotent la volonté de contrôler la situation : « trying to thrust back a stubborn branch of bougainvillea blocking some steps he hadn’t noticed before. » (140), « pausing every few steps to uproot some weed or other until, suddenly, she stopped, gazing down at a flower-bed that was completely, grossly strangled by a coarse green vine. ‘My god, this used to be a beautiful garden. It was like Paradise.’ » (UV, 141-42)’
190.
‘ “the purple slopes...of paradise. Although the scene murmurs of peace, the conjunction of purple with paradise suggests an Eden already lost [...] a suggestion further supported by the phallic image of lizards darting into the bougainvillea; the half-shored-in hole (a Swedenborgian gate to hell); the precipitous fields leading to the abyss; the presence of the prison watchtower and old bull-ring; and the current ravishing of China by Japanese armies astride all roads to Shangai [...].” (A Companion ..., op. cit., p. 150)’