3. Vers l’Autre scène : une énigme

Parmi les figures des ruines métonymiques de l’objet (a) dans la fiction, nous retiendrons tout particulièrement certains restes du corps qui ont pour faculté de nous transporter vers une autre scène — l’Autre scène — du fantasme originaire. Dans la fiction conradienne, la bave, joue un rôle ambigu lors de la scène d’estrapade. Hirsch, à bout de nerfs, crache à la figure de son tortionnaire, Sotillo, qui attend de lui « a grunt of ascent, a simple nod » (N, 189). Le crachat signe son arrêt de mort tout en libérant Hirsch dont Sotillo tente d’extirper une vérité que Hirsch ignore, un savoir qui n’est que non-savoir pour obtenir un crachat, rachat de l’altérité de Hirsch peut-être ? Nous tenterons de discerner ce qui se cache sous cette réponse fulgurante au désir de Sotillo.

Avec le crachat de Hirsch, nous avons, une fois de plus, une ruine métonymique du corps de l’Autre259 culturel qui fonctionne, semble-t-il, comme un effet en retour du signifiant. Celui-ci revient au destinateur tel un boomerang sous la forme de deux balles de revolver en pleine poitrine : « [Sotillo] fired twice. » (N, 376). Notons que le phénomène de retour se répète comme un écho renvoyé par des parois rocheuses ; le lecteur qui s’attend à lire une description de Hirsch, lit quelque chose qui pourrait bien correspondre à ses attentes, mais qui en fait concerne, non pas la victime, mais le bourreau : « He stood with drooping jaw and stony eyes. » (N, 376). Ainsi, la narration et la diégèse se rejoignent dans la figure de l’inversion des rôles entre bourreau et victime, laissant entrevoir au lecteur le vacillement du sujet, l’instabilité du signifiant qui à tout moment peut basculer dans le néant, le cri, le crachat.

Notes
259.
‘ J. Kristeva cite Mary Douglas qui définit le crachat comme marge du corps : « La matière issue de ces orifices (du corps) est de toute évidence marginale. Crachat, sang, lait, urine, excréments, larmes, dépassent les limites du corps [...]. L’erreur serait de considérer les confins du corps comme différents des autres marges. » ( Mary Douglas, De la Souillure, 1971, Paris, Maspero, p. 137 in Pouvoirs de l’Horreur, p. 84)’