Chapitre III
Restes et ruines métonymiques : faire un reste ?

Pour désigner le fruit de son travail, en passe d’être livré au public, Conrad utilise essentiellement le lexique du déchet : « fudge », « bosh », « rubbish »341 et, au mieux, « thing » dont la résonance freudienne est indéniable. Dans une lettre à Ford Madox Ford, peu de temps avant la publication de Nostromo, Conrad écrit : « The miserable rubbish is to be shot out on the muck-heap before this month is out. »342. Quelques mois plus tôt, toujours à propos de Nostromo, il écrit à J. B. Pinker : « The thing is not half bad upon my word. »343, après avoir qualifié Heart of Darkness d’ « awful fudge »344.

Mais c’est à l’occasion de la publication de Nostromo que Conrad dit la nécessité de laisser une trace, mêlant à son discours, et ceci non sans ironie, le mal de dent dont il a souffert durant les dernières semaines de rédaction de Nostromo et la fin de la rédaction :

‘Finished! Finished on the 30th [...] For a solid Fortnight I’ve been sitting up. And all the time horrible toothache. On the 27th had to wire for the dentist (couldn’t leave the work) who came at 2 and dragged at the infernal thing which seemed rooted in my very soul. The horror came away at last, leaving however one root in the gum. Then he grubbed for that till I le[a]pt out of the chair. Thereupon old Walton said : I don’t think your nerves will stand any more of this345.’

Cette lettre reprend le motif de l’ivoire, mais cette fois-ci il s’agit des dents de Conrad lui-même ! Le corps de l’artiste semble être convoqué au festin de l’écriture, de la création artistique par le biais d’une mémorable rage de dent ; les « affres de la création » s’exprimant dans une (prosaïque) apothéose de douleur.

Notes
341.
‘ “I’ve discovered that I can dictate that sort of bosh [The Mirror of the Sea ] without effort at the rate of 3000 words in four hours. Fact! The oily thing now is to sell it to a paper and then make a book of the rubbish. Hang!” (JCCL 3, p. 112, lettre à H.G. Wells, 7 février 1904 ; c’est nous qui soulignons)’
342.
Ibid., p. 165. Lettre à Ford Madox Ford, septembre 1904 ; c’est nous qui soulignons).’
343.
Ibid., p. 137. Lettre à J.B. Pinker, 7? Mai 1904 ; c’est nous qui soulignons. ’
344.
Ibid., p. 88. Lettre à Roger Casement, 1er décembre 1903.’
345.
Ibid., p.158. Lettre à John Galsworthy, 1er septembre 1904. (C’est nous qui soulignons.)’