5. Simulacre de communication : un internet de signifiants

Nostromo, Heart of Darkness et Under the Volcano offrent au lecteur un spectacle tout en lignes électriques coupées, routes coupées ou défoncées, voies de chemin de fer plus ou moins à l’abandon, voies de navigation tortueuses, autant d’images de dysfonctionnement des modes et voies de communication en des lieux déjà retirés du reste du monde. La communication est pour ainsi dire déplacée et brouillée, voire même interrompue comme l’indiquent les miroirs étoilés dans Nostromo, déformants dans Under the Volcano et piqués dans Dark as the Grave Wherein my Friend is Laid 455. C’est peut-être ainsi que Conrad et Lowry nous souhaitent la bienvenue au pays des merveilles, c’est-à-dire, au pays des semblants derrière lesquels jouent les signifiants lâchés dans un « internet de signifiants » partiellement débridé, par les sujets internautes à la dérive.

Nous comprenons alors mieux pourquoi la question du sens — « And what does it mean? » (N,189) — se pose aussi régulièrement dans ces textes. Heart of Darkness nous donne à entendre, sans jamais les représenter, des sons étranges : « amazing words that resembled no sounds of human language » (HOD, 109), tandis que les fils télégraphiques bourdonnent au-dessus de l’immeuble Holroyd à San Francisco, lieu mystérieux, lieu de l’Autre, qui détient les parts de la Concession Gould au Costaguana  :

‘In the great Holroyd building (an enormous pile of iron, glass, and blocks of stone at the corner of two streets, cobwebbed aloft by the radiation of telegraph wires) the heads of principal departments exchanged humorous glances, which meant that they were not let into the secrets of the San Tomé business. (N, 97 ; c’est nous qui soulignons) ’

Le mystère est d’autant plus grand et bien entretenu que personne, pas même les chefs de service, ne sait ce qui se passe entre Holroyd et Gould père qui fonctionnent comme des figures de l’Autre, l’un étant probablement l’Autre de l’Autre. L’énigmatique Holroyd tient d’ailleurs une correspondance très privée avec Gould :

‘The Costaguana mail (it was never large — one fairly heavy envelope) was taken unopened straight into the great man’s room, and no instructions dealing with it had ever been issued thence. The office whispered that he answered personally — and not by dictation either, but actually writing in his own hand, with pen and ink, and, it was supposed, taking a copy in his own press copybook, inaccessible to profane eyes. (N, 97 ; c’est nous qui soulignons)’

C’est finalement un étrange spectacle qui s’offre à l’imaginaire du lecteur : un vieil homme tout puissant qui écrit à l’abri des regards indiscrets dans une tour d’acier et de verre ; cette dernière faisant penser à la tour d’ivoire métaphorique de Kurtz qui, lui aussi, écrit son rapport énigmatique dans le plus grand secret, et ne le confie à Marlow qu’une fois sur son lit de mort.

Notes
455.
‘ “Primrose had been excited and so had he, when he had turned in early, too drunk to sleep with Primrose, who was however quite drunk herself, in this other bedroom, with its spotted mirror in which everything appeared broken and not quite right, [...]” (Dark as the Grave..., op. cit., p. 143)’