Le motif de filiation et de transmission, avec transformation peut-être, est repris à la fin de ce passage lorsque Hugh évoque les aléas de ces objets très personnels, toujours manquants, moteurs du désir, de la quête de jouissance de l’artiste qui crée à partir de restes, de ruines, de déchets laissés par d’autres. Cet amas chancelant, ce champ/chant de ruines gouvernées par la nécessité de la séparation et de la coupure signifiante résonneront à nouveau sous la plume d’autres maîtres534, repris, refaçonnés, voire transcendés et sublimés par de dignes héritiers prêts à faire entendre les cordes qui cassent, et à se crucifier sur le mât du langage. N’est-ce pas là une partie de l’essence même de l’écriture de Lowry souvent accusé, à tort, de plagiat535 ?
En effet, Under the Volcano n’est-il pas un héritage colossal qu’aurait fait Lowry ? C’est en tout cas ce que nous évoque le fragment cité plus haut « inherited by some other master perhaps ». Celui-ci prend une résonance particulière lorsque nous lisons quelques pages plus loin « Oh, to be a Conrad » (UV, 203). Hugh fait là allusion à son désir de partir en mer, élément commun aux biographies de Conrad et Lowry. Le premier roman, publié, de Lowry est d’ailleurs Ultramarine, directement inspiré de son expérience initiatique de mousse à bord d’un cargo en partance pour l’Extrême Orient536, ce qui n’est pas sans rapport avec l’auteur de Heart of Darkness, et ceci d’autant que son roman préféré de Conrad était Typhoon. Le texte de Lowry fait resurgir des ressemblances, des coïncidences frappantes, par quelques touches et retouches qui font et défont les liens :
‘Hugh, far from aspiring to be a Conrad, as the papers suggested, had not then read a word of him. But he was vaguely aware Conrad hinted somewhere that in certain seasons typhoons were to be expected along the China coast. (UV, 206) ’Après avoir répété les allusions à Conrad, Lowry sème une fois de plus le doute dans l’esprit du lecteur qui croyait avoir trouvé là un point de repère fiable. Par cette dénégation dont Lowry était coutumier, Lowry affirme sa résistance à tout discours totalisant et finalisant sur son écriture537. De la même façon, et nous voyons se dessiner la cohérence de Lowry, il refusait tout discours totalitaire ainsi que les solutions finales subséquentes, ce qui apparaît clairement à travers l’usage qu’il fait de l’oxymore, figure de style associant des contraires sans toutefois être incohérent538. L’écrivain est et n’est pas les maîtres dont il se réclame ou non. Il est une sorte de caisse de résonance baroque des bribes laissées par ses prédécesseurs, bribes que l’artiste fait siennes pour les accommoder et les transmettre.