Chapitre III
Echos et ruines phonématiques

Il y a de nombreuses résonances entre « Dark Path » et Under the Volcano. La plus frappante nous permet de jeter un pont entre l’avant-dernier vers du poème (« Through multitudinous discord ») et une des dernières lignes de Under the Volcano : « through the inconceivable pandemonium of a million tanks » (UV, 415). Le texte de fiction et le poème se répondent en quelque sorte, Under the Volcano étant l’écho répété à l’infini du poème avec ses distorsions et ses effets spectraux/spéciaux dont le texte fait état, en insistant sur la modalité épistémique véhiculée par le « as though » qui rythme la phrase et de ce fait, participe aux échos du vacarme que fait l’oeuvre (« an odd but splendid din »585) :

‘[...] and it was as though this scream were being tossed from one tree to another, as its echoes returned, then, as though the trees themselves were crowding nearer, huddled together, closing over him, pitying... (UV, 416).’

Si l’on poursuit ce va-et-vient entre texte et poème, nous constatons qu’aux morceaux calcinés laissés par le feu (« charred ends »), correspond l’idée de ruine associée au terme « crumbling » suivi de « collapsing » dont voici le contexte :

‘But there was nothing there: no peaks, no life, no climb. Nor was this summit a summit exactly: it had no substance, no firm base. It was crumbling too, whatever it was, collapsing, while he was falling, falling into the volcano, he must have climbed it after all, though now there was this noise of foisting lava in his ears, horribly, it was in eruption, yet no, it wasn’t the volcano, the world itself was bursting, bursting — into black spouts of villages catapulted into space [...] (UV, 415 ; c’est nous qui soulignons) ’

Les effets d’écho sont manifestes non seulement entre les deux textes, mais aussi à l’intérieur de chacun. En effet, « Dark Path » nous envoie son clignotement (« flicker ») à la strophe suivante: « Yet, burning, burning, burning Lord » (v. 9.). Le même type de phénomène se produit dans Under the Volcano où la lave (« foisting lava ») fait pendant aux braises (« sulphurous / charred ends of fires ») du poème « Dark Path » et accompagne la chute vertigineuse du Consul : « while he was falling, falling into the volcano ». Le Consul tombe dans un monde qui s’écroule sur lui-même, comme sous le souffle d’une gigantesque explosion : « the world was bursting, bursting into black spouts of villages [...] ». Il n’en finit pas d’imploser comme le suggère la prolifération des gérondifs qui accompagnent la fin du Consul.

Par ailleurs, le terme « foisting » mérite que l’on s’y arrête, car il est un bon exemple du rapport ambigu entre signifiant et signifié. Associé à la lave, son sens premier586 est en quelque sorte recouvert par la résonance du son [CN] qui appelle « boiling » dans l’esprit du lecteur conditionné par l’usage et les schémas d’associations. L’homophonie entre « foisting » et « boiling » joue ici son rôle de support structurel au surgissement de lalangue qui se fait entendre par la voix intérieure de la lecture, celle qui donne vie au texte et qui fait le caractère singulier de toute lecture laissant entrer la jouissance dans la danse. Lowry, maître en matière d’associations, laisse ainsi entrer, dans le creuset de la lettre, la jouissance du lecteur à qui le sens pernicieux de « foisting » est rappelé par les consonnes d’abord frontales /f/, puis sifflantes /s/, qui à leur tour renvoient le lecteur aux « sulphurous charred ends » du poème. Par le jeu du signifiant et du signifié, Lowry chatouille la fibre littéraire du lecteur qui, s’il accepte de ne pas maîtriser totalement ce jeu, accède à la jouissance du signifiant. Lowry aimait en gratifier ses lecteurs ainsi que ses proches par d’irrépressibles jeux de mots, jeux avec la lettre dont voici un exemple :

‘[...] in a Mexican prison you have to drink out of a pisspot sometimes. Especially, when you have no passport.587
Notes
585.
‘ A propos du Volcan, Lowry écrit à C. Aiken :  « a strange book and I think it makes an odd but spendid din. » ibid., p. 309. Il utilise la même image dans une lettre à James Stern, la même année pour qualifier le type d’écriture dont il se sent capable : « something that is bald and winnowed like Sibellius, and that makes an odd but splendid din, like Beiderbecke. », ibid., p. 322.’
586.
‘ “to cause (someone or something unwanted) to be borne or suffered for a time by (someone)” (Longman dictionary of contemporary English)’
587.
CLML 1, p. 178, lettre à J. Davenport, décembre 1937.’