11UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT DE LA COMMUNICATION
THESE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE LYON 2
Discipline : Sciences de l’Information et de la Communication
Le 27 octobre 2001
Titre :
ECRIRE DANS LA VILLE,
Prolégomènes à une pédagogie de l’architecture urbaine
Directeur de thèse : Bernard LAMIZET, Professeur à l’université Lyon 2
JURY
Bernard LAMIZET, Professeur à l’université Lyon 2
Sylvia OSTROWETSKY, Professeur des universités
Alain RENIER, Architecte dplg, Professeur émérite des universités
François TRAN, Architecte dplg, Maître-assistant à l’école d’architecture de Lyon
Pierre TRONCHON, Inspecteur Général de l’Equipement, HDR en urbanisme

Remerciements

Daniel Baggioni, professeur à l’Université de Provence, rencontré dans les interactions de la ville, a su m’interpeller et éclairer ma pratique du faire-la-ville par son approche socio-linguistique. Il est à l’origine de ce travail. Un coup brutal du trafic urbain a fait disparaître celui qui, directeur de thèse, devenait un ami. C’est d’abord à lui que je pense.

Puis je tiens à remercier en particulier :

François Leroy, Thierry Paquot, Marie-Hélène Poggi, Alain Rénier, Jean-Jacques Wunenburger qui sont intervenus à leur moment et à leur manière dans ma recherche, apportant leurs remarques.

Othello Zavaroni, architecte dans l’âme et inoubliable patron de Droit Divin à l’atelier aux Beaux-Arts, qui aurait certainement vu dans cette étude quelque sulfureuse trace d’iconoclastie, et qui, plutôt que d’argumenter, aurait avec un énigmatique sourire rajusté sa casquette à carreau . Nous nous serions pourtant retrouvés sur la valeur donnée à la place de l’Homme dans l’architecture et dans la ville.

Bernard Lamizet, dont l’empathie réputée décuple le talent pédagogique. Si son rôle de directeur de thèse implique ici de ma part une sorte de devoir de réserve, j’ai toutefois le plaisir de lui exprimer ma reconnaissance pour son écoute, son aide et son amitié.

Enfin, espérant qu’il sera de quelque façon utile aux Hommes, ce travail est tout particulièrement dédié à Bianca, Pascal, Silke, Célia, Karl.

Note liminaire

La bibliographie située en fin du présent volume comporte deux listes :

L’environnement bibliographique présente, classés par ordre alphabétique, les textes qui participent plus largement de l’environnement de ce travail, et non pas seulement ceux faisant l’objet de références directes. Les films et éléments cartographiques ou touristiques font l’objet d’un classement séparé. Les nombres entre [ ] renvoient à la liste des références bibliographiques.

Les références bibliographiques, classées par ordre d’apparition dans le texte sont numérotées entre [ ].

Avant-propos

L’étudiant en architecture d’avant 1968, plongé dans les brumes des Beaux-Arts où l’architecture s’imposait comme le plus grand des arts majeurs, tenu ignorant de l’impact social et culturel de son activité, s’adonnait à des compositions grandioses rehaussées d’élégants lavis.

Othello Zavaroni, architecte Grand Prix de Rome, patron d’atelier à l’Ecole (l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris, section architecture) tentait de nous faire saisir cette impalpable architecture en décrivant les interactions subtiles et définitives entre des outils de conception. Au fur et à mesure que nous approchions la compréhension de ce maëlstrom, il nous apparaissait plus insaisissable : le «sens» de la chose n’émergeait pas pour autant.

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Figure 1 - Les outils de la conception architecturale et leurs interactions (schéma librement interprêté par les étudiants selon les pédgogiques indications du Patron)

La situation à l’Ecole dans les années soixante, pour le moins décalée de la réalité, est parfaitement décrite par Michel BATAILLE [1], architecte et écrivain, lorsqu’il fait ainsi parler Victorien Sauvage, alias LE CORBUSIER :

‘ «Amyot, quand j’étais jeune, un architecte s’en foutait bien, de la structure des villes. Il portait une cravate lavallière et attendait paisiblement qu’un capitaliste bourgeois vînt lui commander un immeuble en pierre de taille à l’angle de deux rues. L’architecte a deux ennemis : l’administration et ses clients. L’administration parce qu’elle ne pense jamais. Ses clients parce qu’ils croient penser et veulent que la ville soit conçue à partir et autour de l’armoire normande de leur grand’ mère.»’

Alors que le nom de LE CORBUSIER était officieusement à l’index dans l’Atelier, et qu’aucune information n’y filtrait sur le travail d’architectes comme Louis Kahn ou Alvar Aalto, nous étions bien décontenancés devant les «oeuvres» des patrons de l’école. Le lien entre le discours magistral et la mise en oeuvre semblait vraiment ténu.

Peu à peu, les recherches personnelles, les voyages - à l’étranger - ouvraient sur des architectures différentes, des réflexions et des attitudes différentes devant l’architecture et devant le métier de l’architecte.

Mon expérience suisse en 1963, (trois mois à Bâle chez l’architecte Konrad Müller) fut la découverte du détail, du matériau, et de la qualité d’exécution. Ces trois termes (détail, matériau, exécution) étaient tenus pour les critères absolus de l’architecture, en opposition au concept très «Beaux-Arts» du «Parti» et de la composition d’ensemble qui méprisait le détail et le chantier.

Un stage de trois mois à Stockholm en 1965 chez Sven Ivar Lind, architecte francophone, charmant, cultivé et gourmet, fut l’occasion de découvrir une architecture de la sobriété. Une sobriété qui primait aussi lorsque nous réhabilitions le château de Drottningholm, résidence royale. Une sobriété en accord avec la prégnance d’un climat terrible, la rareté et la faiblesse du soleil rendant improbables les effets d’ombre, aplatissant les façades. La sensualité de l’architecture d’Alvar Aalto, l’environnement considéré comme élément d’architecture, l’humilité d’une architecture qui se cache derrière une forêt de bouleaux, autant d‘éléments en contradiction avec les principes fastueux de Versailles ou de Saint Pierre de Rome.

Quelle différence encore à l’agence Henri Pottier où j’effectuai un stage de deux mois en 1966 ! Une agence-usine organisée comme une «Unité de Production», avec le petit adjudant-chef en blouse blanche contrôlant les horaires des «nègres», la dichotomie entre les équipes de conception et les équipes d’exécution. Je découvrais alors que la prestation d’architecture, même compétente, pouvait aussi être considérée comme un «business».

Le travail en agence d’architecture, mené parallèlement aux projets à l’Ecole, permettait certes d’acquérir un réel savoir-faire. Nous faisions ainsi le grand écart entre de somptueuses compositions colorées à la gouache mettant en image sur d’immenses châssis des programmes délirants d’irréalité (un parc de loisirs, un temple de l’amour, un jardin suspendu au 21° étage d’un hôtel...), et des projets banals de barres et de tours HLM «grattés» sur calques dont les plans d’ensemble répondaient à la logique d’installation des grues plutôt qu’à une volonté d’architecte. Ballottés entre la (triste) réalité palpable des agences et les rêves intemporels de l’Ecole, nous cherchions dans les revues internationales d’architecture où pourrait se cacher une pensée solide.

Le star-system n’avait pas encore touché le milieu de l’architecture, mais quelques personnalités s’affirmaient et prononçaient des aphorismes qui se voulaient définitifs à l’instar de VITRUVE suivi par ALBERTI 2 avec son ‘«Firmitas, commoditas, voluptas»’. Le célèbre «La Forme suit la Fonction» du Bauhaus n’était pas satisfaisant totalement, non plus que le non moins célèbre «Less is More» de Mies Van der Rohe, l’amusant «Less is a bore» de Robert Venturi, ou la doctrinale distinction de Louis Kahn entre espaces servants et espaces servis. Ces formulations ne voulaient en réalité pas recouvrir la complexité du processus de création architecturale : elles sont des manifestes ou des justifications souvent non exemptes de volonté publicitaire.

Le Corbusier faisait un peu exception. Se défendant de vouloir imposer une théorie de l’architecture, il cherchait à apporter des fondement théoriques aux «faits architecturaux». Pourtant, les fameux «Cinq points d’une Architecture Nouvelle» (pilotis, toits-jardins, plan libre, fenêtre en longueur, façade libre) constituaient une sorte de théorie de l’architecture appuyée sur la trilogie fondatrice de Vitruve : utilité, solidité, beauté.

Eblouis par ces maîtres-à-penser de l’architecture, mais baignés dans la recherche permanente d’une image d’architecture , dessinée (à l’école) ou construite (en agence), nous persistions à feuilleter les revues d’architecture, espérant y trouver le salut.

En fin de parcours des Beaux-Arts, il était «chic» de faire en doublon l’Institut d’Urbanisme de la rue Michelet. Hubert Tonka, l’assistant d’Henri Lefebvre, s’échinait à nous faire intégrer la nécessité d’une vision sociale, linguistique, politique, culturelle de l’architecture et de l’urbanisme : une réflexion décalée qui faisait vaciller les quelques pseudo-certitudes acquises Quai Malaquais.

La matérialité boueuse de l’exercice dans un régiment du Génie marqua ensuite la fin des années étudiantes. Puis la pratique professionnelle de l’architecture pendant vingt-cinq années fut le moment de l’action.

L’occasion de la réflexion, avec le recul nécessaire, est venue pour moi à l’occasion d’une pratique pédagogique à l’Ecole d’Architecture de Languedoc-Roussillon dans le contexte d’une école transformée régulièrement depuis 1969 et encore aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle mutation.

Or l’étudiant en architecture de ces premières années du siècle est à peu près dans les mêmes marécages conceptuels que ses aînés : en effet, à part quelques praticiens réalistes à qui il manque généralement la dimension d’une pensée, ses professeurs sont soit des fonctionnaires totalement déconnectés de la réalité d’une pratique urbaine n’ayant jamais réalisé - dans les meilleurs cas - que leur propre maison, soit des stars auto-proclamant leur génie (éventuellement imitables, mais, par définition, inatteignables, indépassables, incompréhensibles) et dont l’action pédagogique n’a d’autre but que de conforter leur état semi-divin.

Sans vouloir établir une théorie de l’architecture, apparaît néanmoins la nécessité d’approfondir la connaissance sur l’architecture. Umberto ECO [3] nous avance que l’architecture «doit» être étudiée en tant que phénomène de communication :

‘«Si la sémiotique n’est pas seulement la science des systèmes de signes reconnus comme tel, mais la science qui étudie tous les phénomènes de culture comme s’ils étaient des systèmes de signes - en se basant sur l’hypothèse qu’en réalité tous les phénomènes de culture sont des systèmes de signes, c’est à dire que la culture est essentiellement communication - , un des secteurs où la sémiotique se trouve le plus défiée par la réalité sur laquelle elle essaie d’avoir prise, est celui de l’architecture.»’

cette attitude devant nous permettre d’éclaircir certains de ses mécanismes fondamentaux dans l’objectif d’une «meilleure» production architecturale.

Mais il convient préalablement de s’entendre sur cet objectif que serait une «meilleure» production architecturale, c’est à dire sur ce que nous entendons par architecture. Nous proposons de retenir l’architecture en la déconnectant - artificiellement - de la construction, sachant que :

Nous adoptons ici le positionnement préalable de John Ruskin4 [5] :

‘«Il est indispensable, dès le début de cette étude, d’établir avec soin une distinction entre l’Architecture et le Bâtiment ou Construction.» ’

ainsi que sa tentative de définir l’architecture par son :

‘«Aphorisme 4 : L’essence de l’architecture est d’émouvoir l’âme humaine et non d’offrir un simple service au corps de l’homme.»’

Une définition reprise par Le Corbusier [6] alors même qu’il se lance contre les académismes :

‘«L’architecture est un fait d‘art, un phénomène d’émotion, en dehors des questions de construction, au delà. La construction, c’est pour faire tenir ; l’architecture, c’est pour émouvoir.»’

et encore confirmée, s’il le fallait, par Michel Ragon [7]

‘«Une construction n’est pas forcément de l’architecture. Construire, c’est réaliser un édifice (maison ou palais) selon certaines techniques et avec certains matériaux. Il n’y a architecture qu’à partir du moment où la construction passe au stade de l’expression. L’architecture est donc un art et nous nous excusons de devoir rappeler une telle évidence que beaucoup d’architectes, eux-mêmes, semblent avoir oubliée. Un couvent, disait Ruskin, n’est pas seulement fait pour abriter une communauté, mais pour émouvoir. Or l’habitat moderne est presque toujours de la construction, presque jamais de l’architecture.»’

Etudier le langage de l’architecture n’est pas édifier une théorie de l’architecture et nous dirons avec Claire & Michel Duplay [8] :

‘«Il n’y a pas en effet, une théorie de l’architecture, mais plusieurs qui débouchent sur des pédagogies tout à fait différentes»’

En revanche, regarder l’architecture comme langage permet certes de l’aborder d’une autre façon, mais surtout de lui donner un éclairage plus authentique, plaçant l’objet architectural dans son rapport fondateur essentiel : le rapport de la praxis qui s’établit entre l’objet et l’usager.

Etudier le langage de l’architecture n’est pas non plus «faire de l’architecture» et la recherche en architecture n’existe pas en dehors du «concevoir l’architecture». En revanche, la recherche sur l’architecture, sur les outils et les savoirs «à propos» de l’architecture, s’impose en première nécessité.

Toutefois, non par goût du paradoxe mais parce que nous sommes architectes9, nous garderons présent à l’esprit tout au long de ce travail ces propos de l’architecte Henri Gaudin [10] : 011

‘«L’architecture est faite pour le silence. Elle est faite pour l’homme qui dort. Elle est silence elle-même. Car contrairement à ce que dit la sémiologie qui encombre la pensée en architecture, l’architecture n’est pas là pour parler, elle est là pour ouvrir à la parole.»’
Notes
1.

[] BATAILLE Michel (1966). La ville des fous. Paris, j’ai lu, Robert Laffont (p. 73)

2.

Leon Battista ALBERTI (1404-1472). Humaniste social, mathématicien, moraliste, architecte et théoricien de l’architecture, il s’impose comme ’uomo universale’. Son oeuvre ’De re ædificatoria’, rédigée de 1450 à sa mort ne sera imprimée et diffusée qu’en 1485.

3.

[] ECO Umberto (1972). La structure absente. Paris, Le Mercure de France (p.261)

4.

John Ruskin 1819 - 1900. Ecrivain, critique d’art et réformateur social, il partagea sa vie entre le professorat à Oxford et le mécénat.

5.

[] RUSKIN John (1987). Les sept lampes de l’architecture. Paris, Denoël (p. 9)

6.

[] Le Corbusier (1923). Vers une architecture. Paris, Crès

7.

[] RAGON Michel (1977) L’Architecte, le Prince et la Démocratie. Paris, Albin Michel (p. 231)

8.

[] DUPLAYClaire & Michel (1982) Méthode illustrée de création architecturale. Paris, Le Moniteur. (p. 307)

9.

Dans le parler provençal, on «fait» architecte, on «fait» facteur ou notaire, comme d’autres «font» de la cerise ou de l’asperge. Nous «sommes» architectes.

10.

[] CHASLIN Olivier, CHASLIN François et LAVALOU Armelle (1984). Henri Gaudin. Paris, Electa Moniteur (p. 61)