1.1.2 L’architecture comme manifeste

Le carré noir sur fond blanc de Casimir Malevitch est un manifeste par lequel il définit son degré zéro de l’écriture picturale. Cette peinture est un manifeste sur la peinture. Le Manifeste Surréaliste est un manifeste sur l’art et sur une vision du monde, mais, par sa forme, il est déjà intrinsèquement un manifeste.

Les écrits de Le Corbusier, l’un des architectes les plus prolixes, sont des manifestes écrits à propos de l’architecture. Le Corbusier n’a cessé d’écrire et de publier tout au long de sa vie, défendant ses idées de l’architecture ou de la ville; s’essayant à une démonstration «scientifique» de son Modulor. Ses premiers écrits étaient des manifestes pourfendant avec véhémence l’académisme et posant les bases de sa vision de l’architecture et de la ville :

  • en 1915, il rédige avec le peintre Amédée Ozenfant un manifeste du Purisme : «Après le cubisme»

  • en 1920, Charles-Edouard Jeanneret prend le pseudonyme de Le Corbusier et publie dans sa revue «L’esprit Nouveau» ses «3 rappels à MM. les architectes»

  • en 1923, «vers une architecture» est publié aux éditions Cres.

On a vu dans les années 1970 apparaître des dessins, des projets d’architecture qui se voulaient des professions de foi. Ainsi quelques projets du groupe Archigram, ou du groupe Coop Himmelblau ont eu leur heure de célébrité médiatique à l’intérieur du petit monde de l’architecture.

Et l’architecture peut aussi être utilisée comme média, comme support de langage pour communiquer une position politique. Ainsi, à l’occasion du Concours International pour la Bibliothèque Nationale Pahlavi à Téhéran (en 1977-78), l’équipe de l’architecte italien de renom Gaetano Pesce [22], bien évidemment non retenue, pouvait faire publier son projet sur deux pages dans l’Architecture d’Aujourd’hui avec un texte justificatif dont nous retenons :

‘«Je voudrais qu’il soit clair tout de suite que nous n’avons pas travaillé selon le système du faire architectural «en usage», mais que nous nous sommes efforcés de nous servir de l’objet architectonique comme moyen de communication. Ce qui équivaut à dire que l’architecture, à l’égal et plus que tout autre langage artistique, a et doit avoir le pouvoir d’exprimer la réalité de qui la fait, la réalité dans laquelle elle vit, jusqu’à suggérer le moment historique dans lequel se situent le «temps», l’opinion de ses concepteurs et la magie de leur imagination...[...] Le concours de la Bibliothèque Nationale de Téhéran nous a semblé être une occasion intéressante pour déclarer à travers l’architecture quelle est notre opinion en face de la réalité iranienne...»’

Ce manifeste n’est pas architecture : ce n’est qu’un dessin, un projet. Mais en tant que manifeste, en tant que formalisation d’une critique sociale et politique, ce projet relève d’une sémiotique du fait architectural.

Si le projet d’architecture peut être un manifeste, nous n’apercevons pas d’objet architectural comme manifeste. Les architectures formellement très différentes comme celles de Antonio Gaudi, Le Corbusier, Frank Gehri ou Peter Eisenmann ne sont pas des manifestes : chacune est l’expression d’une écriture particulière mise en oeuvre pour exprimer une vision personnelle. Il reste donc le projet d’architecture comme manifeste, ou le manifeste à propos de l’architecture.

Notes
22.

[] PESCE Gaetano, in L’architecture d’aujourd’hui n° 197 de Juin 1978