L’habitat familial peut être signifié par les mots «logement », «F4», «maison», ou «appart» en français, par «Wohnung», «Heim», «4 1/2 ZWg», ou «Haus» en allemand.
Si certains mot français ne recouvrent pas parfaitement et totalement leur homologue en langue allemande, il est en outre des mots de l’architecture - ou du paysage urbain - sans même aucun équivalent :
comment traduire «Biergarten» (≈littéralement : jardin-à-bière, en fait un mélange de jardin ouvrier familial, de jardin public, et de guinguette où le vin blanc est remplacé par la bière) si ce n’est tant bien que mal par une explication aussi lacunaire que sommaire qui ne rendra pas compte du vécu affectif, social et historique (l’essentiel pour un Biergarten),
comment imaginer en France une «Stammtisch» (≈table d’habitués cooptés dans une «Wirtshaus», sorte de café, littéralement maison d’hôte)
peut-on comparer les deux «banlieues chics» que sont Hamburg-Altona et Le Vésinet,
comment gère-t-on l’espace d’une salle de séjour allemande avec son «Sitzecke» (≈coin salon) et son sempiternel «Wandschrank» (≈armoire-buffet-bibliothèque murale),
pouvons-nous rendre compte de la façon dont sont ressenties toute l’année durant ces rues de Stuttgart qui explosent de vie lors de la fête de la bière ?
Un terrain de pétanque sur le Ku’Damm serait certainement actif et fréquenté : les berlinois adoreront prolonger leurs vacances provençales, mais ce ne sera jamais la place des platanes de Carpentras ou le centre de Venasque. D’ailleurs, nous savons bien que le Pastis bu à Paris n’a pas le même goût qu’en Provence.
De même, si l’on vend en France des fenêtres de toit VELUX, c’est en Allemagne que l’on trouve ces «Dachwohnung» (≈appartement mansardé) si particuliers, si spécifiquement «gemütlich», si lumineux, et dont pourtant, bizarrement, on ne voudrait pas en France.
Outre les mots décrivant les objets ou les lieux, on trouve des termes également intraduisibles parfaitement, et bien souvent employés en décalage.
Le «Malerisch» employé par Camillo Sitte61 [62] est toujours traduit par pittoresque tant dans les traductions françaises des ouvrages de Sitte que dans les exégèses ou critiques traitant de sa théorie. Pourtant, Malerisch exprime plutôt ce que nous appellerions pictural, ce qui mérite d’être peint, alors que pittoresque évoque généralement le kitsch des chromos, le Mont St Michel enluminant le baromètre, ou, au mieux, le détail charmant.Et le fameux «gemütlich» ! toujours cité comme exemple de l’intraduisible, mais pourtant fréquemment remplacé avec une naïveté déconcertante par «confortable» ; ainsi notamment le 16 Mai 1997 par Bruno Queysanne (historien et professeur à l’école d’Architecture de Grenoble) lors d’une conférence à l’Ecole d’Architecture de Languedoc-Roussillon sur le thème : «la Gemütlichkeit - le confort - chez Adolf LOOS».
Comment peut-on parler de la «Gemütlichkeit» chez LOOS alors que l’on analyse le confort ? Dans «Gemütlichkeit», il y a aimable, affectueux, doux, agréable, il y a Gemüt qui exprime le coeur, le sentiment. Inversement, on dira : confortable = bequem, behaglich, komfortabel et confort = Bequemlichkeit, ≈Wohlsein.
Confort et Gemütlichkeit ne sont ni synonymes ni antonymes, ils représentent simplement des concepts de contenu différent.
Allongé sous une tente de fortune lors d’un orage en montagne, ou simplement dans la minuscule maisonnette d’un Biergarten, aussi bien que chez soi profondément enfoncé dans un fauteuil, un verre dans une main et un livre de René Char dans l’autre, on peut ressentir une Gemütlichkeit introuvable dans la chambre d’un Relais-Château ou une suite du Ritz. On ressent la Gemütlichkeit, alors que l’on peut voir, comptabiliser, acheter, installer le confort.
Ainsi, lorsque l’on constate que la caractéristique primordiale de la qualité d’un logement allemand (dont on connaît le confort matériel et dimensionnel et l’équipement ménager) réside dans cette Gemütlichkeit, on peut se dire : le confort, quelle importance ? Mais c’est là une question que pose le français, une question quasiment incompréhensible pour l’allemand qui ne confond pas ces deux termes totalement indépendants l’un de l’autre. Ne cherchons pas à traduire Gemütlichkeit par un seul mot, la réalité de ce concept ne peut être rendue que par une périphrase liée au contexte.
Au niveau de la ville des différences apparaissent également par des termes difficilement traduisibles :
Camillo SITTE (1843-1903). Architecte et historien viennois, qui, en réaction contre la modernisation de Vienne, analysa les villes européennes et antiques pour en dégager un urbanisme culturaliste.
[] SITTE Camillo (1996). L’art de bâtir les villes. Paris, le Seuil