Denkmal ≈patrimoine

L’architecture et le patrimoine sont en France réunis dans une direction du ministère de la culture. Notre patrimoine est cet héritage collectif, ce bien commun souvent créé pour l’élite mais rendu au peuple. Dans un sens différent, le Denkmal allemand porte le sens de monument, de monition contre l’oubli. Le Denkmal, c’est d’abord la mémoire. On conçoit clairement que la différence sémantique entre Patrimoine et Denkmal embraye des différences dans les politiques culturelles vis à vis des objets concernés.

Si certains mots de l’architecture et de la ville sont difficilement traduisibles entre l’allemand et le français, et nécessitent une périphrase, d’autres sont totalement intraduisibles et nécessitent une longue explication.Ces mots définissent des ouvrages ou des aménagements qui n’ont pas de sens en France ou en Allemagne. Il est aussi des éléments qui malgré leur traduction apparemment immédiate d’une langue à l’autre n’ont pas de réel équivalent d’une culture à l’autre, ainsi l’exemple de la «porte» qu’Edward HALL [67] met en parallèle dans plusieurs cultures :

‘«En Allemagne, les bâtiments publics et privés, de même que beaucoup de chambres d’hôtel, possèdent souvent des doubles portes pour l’isolation phonique. De plus, la porte revêt une grande importance pour les allemands. Ceux qui viennent aux USA trouvent nos portes légères et fragiles. Une porte fermée et une porte ouverte n’ont pas le même sens dans les deux pays. [...] Chaque fois qu’un allemand se met à parler librement de l’espace intérieur des demeures américaines, il ne manque pas de se plaindre du bruit transmis par les murs et les portes. Pour beaucoup d’entre eux, nos portes résument le mode de vie américain. Elles sont minces et bon marché, elles sont rarement bien ajustées, et la réalité substantielle des portes allemandes leur fait défaut. Quand on les ferme, on ne les sent pas solides. Le bruit de la clef dans la serrure est indistinct, bavard, ou encore totalement inexistant. La pratique américaine de la porte ouverte et la pratique allemande de la porte fermée se heurtent en particulier dans les bureaux des filiales de sociétés américaines et allemande. La méconnaissance de ce fait élémentaire s’est révélé être la cause de friction et malentendus sérieux entre administrateurs allemands et américains en Europe.»’

On est donc fondé à penser que ces ouvrages «intraduisibles» sont les signifiants de signifiés inconnus, ou, pour le moins, différents, en France ou en Allemagne. L’origine de ces distorsions est aussi à rechercher pour certains dans le fait que des signifiants qui nous ramènent au réel (le confort, Komfort, le patrimoine68) trouvent leur «traduction» dans le champ symbolique (‘Gemütlichkeit’, ‘Denkmal’). Les relations entre ces signifiants et leurs signifiés, semblent bien établies dans l’arbitraire d’une culture, et l’on peut admettre que l’architecture relève d’une sémiotique.

Notes
67.

[] HalL Edward T. (1971). La dimension cachée. Paris, Points, Seuil. (p.167)

68.

Cette classification n’est pas tranchée : le patrimoine, qui fait bien partie du réel (on en hérite en passant chez le notaire) porte sa part de valeur symbolique.