1.3.2 De l’architecture à l’architecture de la ville

Le questionnement s’étend effectivement de l’architecture à l’architecture de la ville. Nous confondrons ici l’architecture dans la ville et l’architecture de la ville, nous approchant ainsi du barbarisme «urbatecture» qu’emploient plusieurs chercheurs comme Bruno Zevi [73] ou Claire & Michel Duplay :

‘«Ce néologisme, même sans étymologie cohérente, était indispensable. Art de concevoir et d’utiliser des systèmes urbains, eux-mêmes combinant des éléments architecturaux, l’urbatecture provient du regroupement de l’aspect morphologique de l’urbanisme, y compris le traitement des sites, et de la dimension urbaine de l’architecture. Par définition, cette discipline supprime la rupture entre architecture et urbanisme. Elle postule d’ailleurs que l’architecture est urbaine, quelle que soit la densité de cette ville.»’

C’est toutefois avec réserve que nous utilisons ce terme d’urbatecture car si nous acceptons pleinement qu’il n’y ait pas de rupture entre architecture et urbanisme, en revanche nous réfutons totalement ce postulat selon lequel l’architecture ne serait qu’urbaine : l’architecture est aussi bien rurale ou paysagère. Plus avant, nous ne concevons pas non plus de rupture entre architecture et design de mobilier ou d’objet : de l’objet à la ville il n’y a pas de rupture, la démarche créative est de la même nature, seule la taille et l’échelle diffèrent. En outre, nous parlons de la même façon de l’architecture d’un paysage ou d’un jardin, ou de l’architecture d’une maison isolée. Nous préférons utiliser Urbatexture ou Urbatexte qui nous ramène au texte de la ville.

La population humaine, sur l’ensemble du globe, s’installe de façon croissante dans les villes alors que, parallèlement Joël Roman [74]) fait un constat de ‘«la mort annoncée de la ville»’, E.A. Gutkind [75] annonce ‘«le crépuscule des villes’ », et Serge Chermayeff déplore le «fiasco des banlieues».

La question de la ville se pose dans des termes nouveaux qui n’ont plus rien de commun avec ceux de l’urbanisation du 20° siècle. La ville ne saurait être réduite à une agglomération plus ou moins dense de bâtiments reliés par une série de réseaux de communications et de services communs. Imperturbable, sans écouter les Cassandre, notre Code de l’Urbanisme [76 - art. R 123-18] persiste à confondre urbaniser et équiper, montrant ainsi les limites de l’approche technocratique de la ville :

  1. Les zones urbaines, dites ’Zones U’, dans lesquelles les capacités des équipements publics existants ou en cours de réalisation permettent d’admettre immédiatement des constructions et, éventuellement, à l’intérieur de ces zones, la localisation de terrains cultivés à protéger et inconstructibles en application de l’article L.123-1 (9°)

  2. Les zones naturelles, équipées ou non, dans lesquelles les règles et coefficients mentionnés ci-dessus peuvent exprimer l’interdiction de construire.

Et c’est parce que la triade taille/densité/hétérogénéité du géographe WIRTH [cité par 77] ne fait pas la ville que reste entière la question posée en 1993 par Gabriele Steffen [78] (alors 1° Maire79 de Tübingen chargée de l’urbanisme) :

‘«Wir alle haben bestimmte Vorstellungen, wie das soziale und kulturelle Leben in eine Stadt aussehen sollte. Städte, die wir als lebenswert empfinden, haben sich im Lauf von Jahrhunderten entwickelt. Läßt sich ein solches soziales und kulturelles Leben planen ? Bei diesen Überlegungen geht es nicht einfach um eine weitere Modeerscheinung, sondern um die Frage, was eine Stadt eigentlich ist und was wir in der Zukunft von ihr erwarten.» ’ ‘ « Nous avons tous des représentations spécifiques de ce que devrait être la vie culturelle et sociale dans une ville. Les villes que nous ressentons comme vivables se sont transformées au cours des siècles. Est-ce qu’une telle vie sociale et culturelle peut se laisser planifier ? Dans ces réflexions, il ne s’agit pas simplement d’une nouvelle mode mais bien plus de cette question : quelle est la nature de la ville, et qu’en attendons-nous dans le futur ?»

Si la seconde partie de la question relève du champ politique, il s’agit ici de répondre à la première partie de la question : de quoi est faite la ville ? Une question naturellement posée par l’architecte avec l’arrière-pensée que la réponse permettra de constituer - non pas une théorie supplémentaire de l’urbanisme - mais un outil de conception et d’intervention.

Notes
73.

[] ZEVI Bruno (1981). Le langage moderne de l’architecture. Paris, Dunod

74.

[] ROMAN Joël (1994) ’La ville : chronique d’une mort annoncée ?’. Paris, in Esprit Juin 1994

75.

[] GUTKIND E.A. (1962). The Twilight of Cities. Free Press of Glencoe

76.

[] Code de l’Urbanisme. 1992 - Paris, Dalloz.

77.

[] HANNERZ Ulf(1987). Explorer la ville. (p. 87)

78.

[] Steffen Gabrielle, in Südstadt 5/93

79.

En Allemagne le Premier Maire (et les suivants) est un technicien élu de la fonction publique communale. Il est sous l’autorité de l’Oberbürgermeister qui est un «pur» politique.