2.3.1 Le chantier « architecture » : les Journées du Patrimoine

Le chantier Architecture a pour objectif d’analyser comment le grand public, dans un exercice de «lecture», accède à la compréhension de l’architecture. Notre récente étude83 (réalisée de septembre 2000 à mars 2001) menée à l’occasion des Journées du Patrimoine 2000, établit comment le grand public, majoritairement réticent devant l’architecture du vingtième siècle, plutôt enclin à se réfugier dans des oripeaux passéistes, peut se déclarer volontaire pour découvrir par une médiation pédagogique les valeurs de cette architecture contemporaine, et accéder d’un coup à la compréhension de (toute) l’architecture.

Les Journées du Patrimoine (JP), initiées en 1984 par Jack Lang pour « faire passer sur le patrimoine le souffle de la vie », sont devenues européennes en 1991 et rencontrent un succès chaque année confirmé. L’espace public, dans une relation simultanément ludique et d’acculturation, est ainsi depuis quinze ans approprié collectivement dans un esprit de gratuité. C’est dans la délectation d’un rituel laïque du consensus que ce partage de la Culture se révèle producteur de lien social.

Les quinze premières JP (de 1984 à 1999) ont fonctionné (ronronné ?) dans une relation bi-polaire entre une sémiotique institutionnelle (la norme de l’architecture dite par l’instance culturelle) et une sémiotique de l’esthétique architecturale. Cette relation, construite sur le devoir d’admiration, s’est facilement imposée à un public conquis d’avance qui a reçu pour seules références les illustrations des livres d’école et les affiches des voyages de la SNCF.

Sans oublier les incontournables (Palais de l’Elysée, Matignon et autres Sénat), ces manifestations proposaient chaque année une sorte de bouquet-cadeau de bâtiments publics. Habituellement réservés à une petite élite, les ors du passé étaient pour deux jours offerts à l’admiration du public. Ces ors du passé, associés au pouvoir aristocratique d’autrefois, ont été transmis au pouvoir des élus des républiques successives et le rite institué de ces visites de palais nationaux s’inscrivait ainsi dans la sémiotique cathartique des carnavals. Le thème national des JP de 1999 (Patrimoine et Citoyenneté) ne dérogeait pas à l’habitude et le thème spécifique de la région Rhône-alpes (le métal), traitant des métiers et des matières, mettait en avant le savoir-faire des artisans d’autrefois. Le Pouvoir était certes mis au second plan derrière les artisans et la citoyenneté, mais s’imposait comme faiseur d’Ordre, «donneur d’ordre» et énonciateur de la norme de qualité artisanale.

Pendant 15 ans, les JP ont proposé au peuple ébahi de venir se délecter du «bon goût» des bâtiments anciens. Les Journées du Patrimoine 2000, avec le thème du «Patrimoine du XX° siècle» a constitué une rupture dans le rite annuel. C’est dans une nouvelle distribution que les Journées du Patrimoine 2000 inscrivent la modernité architecturale dans une intersémioticité tri-polaire en ajoutant la relation à une sémiotique du discours pédagogique. Le rituel de l’acculturation s’est mué en un processus d’apprivoisement.

Notre étude s’appuie sur l’analyse de 50 entretiens (parmi les 62) enregistrés les 16 et 17 septembre 2000 auprès de visiteurs des Journées du Patrimoine et répartis sur 6 sites «patrimoniaux» à Lyon et à proximité :

Tableau 1 - Le public des Journées du Patrimoine 2000
entretiens enregistrés entretiens analysés
Cité Internationale, Lyon 6e 4 3
Unité d’habitation Le Corbusier, Firminy (Loire) 10 10
Les Etoiles de Renaudie, Givors (Rhône) 9 9
Eglise Notre-Dame d’Assy, Passy (Haute-Savoie) 14 10
Musée urbain Tony-Garnier, Lyon 7e 12 10
Châteaux d’eau de Philolaos, Valence (Drôme) 13 8
TOTAL 62 50

Un sondage (293 sujets) complète les entretiens pour préciser les données socio-démographiques de l’échantillon. On en retiendra pour l’essentiel :

  • une légère majorité de femmes (57%),

  • 45% des visiteurs ont entre 45 et 69 ans (60% des visiteurs ont entre 35 et 69 ans)

  • l’ensemble ouvriers/commerçants/agriculteurs ne représente que 5% des visiteurs

  • 58% disent avoir fait des études supérieures

  • il s’agit plutôt d’habitués de ces Journées (50% ont participé plus de 3 fois aux JP).

Une comparaison avec un sondage IPSOS réalisé au plan national en 1997 montre un écart notable quant à l’origine géographique des visiteurs : l’architecture du XX° siècle semble avoir cette fois motivé des déplacements de plus d’une heure par rapport au domicile.

Notes
83.

menée avec François Leroy et EXPO + pour le compte de la DRAC Rhône-Alpes sur la base d’un corpus d’enquête constitué lors des Journées du Patrimoine des 16 et 17 septembre 2000.