2.3.2 Le chantier « ville » : Aix-en-Provence vs Tübingen

Considérer l’architecture de la ville comme langage et comme expression de la culture, signifie que le travail de l’architecte consiste en une écriture de la ville dans un contexte culturel. On peut en inférer que si la proposition précédente est vraie, alors, à culture différente correspond un langage architectural différent. Inversement, on dira : si à culture différente correspond un langage architectural différent, alors l’architecture est bien un langage dans une culture.

Notre projet étant ici de montrer que l’urbanité réside dans une sorte de langage culturellement situé et daté, nous avons choisi de placer en confrontation deux cultures/architectures représentées par deux villes de cultures différentes.Notre choix d’un double regard France/Allemagne a été en premier lieu formulé en raison de notre connaissance de ces langues et de ces pays, de nos attaches déjà anciennes à ces deux cultures.

Le lien historique entre les deux pays n’est pas à démontrer, non plus que les étroites influences architecturales et urbanistiques : les architectures gothiques de la vallée de la Seine pénétrant l’Allemagne (ainsi, la cathédrale de Cologne), la révocation de l’Edit de Nantes exilant brutalement de nombreux architectes dans une accueillante Allemagne : Salomon de Caus à Heidelberg, Marquet à Stuttgart, Quesnay et Le Geay à Berlin, Cuvillies à Münich, puis le foisonnement de ces nombreux «Versailles» allemands : ainsi à Düsseldorf, Zwei-Brücken, Manheim, Stuttgart, Frankfurt am Main, Dresden, Charlottenburg et tant d’autres, ainsi le château de Herrenschiemsee, le concept des places royales «à la française» utilisé à Münich et Berlin, les plans de villes comme Karlsruhe.

De la même façon, la technologie des constructions en pisé, très ancienne dans la vallée du Rhône par exemple, présentée en 1789 dans un ouvrage pédagogique de François Cointereaux, expert et arpenteur juré, maître-maçon, agriculteur et architecte, sera l’occasion de nombreuses tentatives et d’essais dans le Brandebourg de 1789 à 1801 sous l’impulsion de David Gilly [84]. Constatant dans le Land de Brandebourg le manque de bois de charpente nécessaire aux constructions traditionnelles en colombages, David Gilly imaginait de les remplacer par les structures massives autoporteuses en pisé utilisant l’excellent argile de la région. Il se heurta à l’inertie et à la mauvaise volonté des bâtisseurs locaux, qui, refusant une «nouvelle» technique furent la cause de l’arrêt de ce type de construction. Ces constructions en pisé, fleuron patrimonial de la moyenne vallée du Rhône auraient ainsi pu devenir une tradition du Brandebourg !

Si Voltaire admira un temps Frédéric II, c’est en sens inverse que l’attrait restait le plus fort, avec le regard porté par les intellectuels allemands sur l’esprit de la révolution française. Particulièrement significatif est le cas de Karl Friedrich Reinhard, étudiant en théologie à l’Evangelische Stift de Tübingen [85] qui s’enflammera pour la Révolution Française. Ayant émigré vers Paris, il deviendra même Ministre des Affaires Etrangères en 1799 puis sera nommé Pair de France en 1832.

Une comparaison France/Italie eu été certes riche et intéressante en raison de l’Histoire commune et des apparentements linguistiques, mais des similitudes fortes auraient vraisemblablement masqué certains effets. L’opposition pays latin/pays germanique paraît plus forte, plus contrastée.La nécessité de constituer un Corpus de taille manipulable nous a conduit à limiter notre étude à deux villes moyennes : étudier Berlin vs Paris était une tâche trop vaste. Par ville moyenne, nous entendons une ville «que l’on peut traverser à pied» ou tout au moins dont «on atteint aisément le centre à pied», une ville à un seul centre.

Etudier des villes en cours de ré-écriture aurait été naturellement intéressant : toutes les villes des ‘Neue Bundesländer’ (les nouveaux Länder constitués par l’ex-allemagne de l’Est), renaissent. Mais il aurait été bien difficile de trouver leur pendant en France.

Notre choix de mettre en parallèle Aix-en-Provence et Tübingen est né à l’occasion la production d’un film video [86] pendant l’hiver 96/97 pour le Club d’Affaires Franco-allemand de Provence. Réalisé avec l’appui de l’Ecole de Journalisme de Marseille et l’Université de Tübingen sur les deux grandes opérations d’urbanisme en cours (Sextius-Mirabeau et Süd Viertel), le travail sur ce film nous a ainsi révélé plus clairement les oppositions, les intérêts, les analogies possibles.

Aix-en-Provence et Tübingen sont valablement comparables tant par leur points communs (taille actuelle, origine ancienne, coeur de ville historique bien conservé, spécificité universitaire, récent développement par reconquête d’un vaste territoire en lisière du coeur de ville, liens par jumelage) que par leurs différences (image de marque, nationalité, structures politico-économiques, et naturellement «culture»).

Notes
84.

[] THOMAS Karin (sous la dir.) (1992). Baukunst in Brandenburg. Köln, DuMont Verlag

85.

[] JONAS Jürgen (hrsg.) (1994). Tübingen zu Fuß. Hamburg , VSA Verlag

86.

[] FAYETON Philippe (sous la dir.) (1997). Aix/Tübingen : les villes en mouvement. film vidéo 26’, réalisation Ecole de Journalisme de Marseille.