La connivence des investisseurs

Les arguments avancés à Sextius-Mirabeau (bâtiment exceptionnel, adresse prestigieuse dans l’exceptionnelle ville d’aix, une exceptionnelle qualité de vie, pour une élite) ne tiennent pas face à la matérialité. Les «matériaux traditionnels» sont réduits à l’enduit à la chaux, à la pierre agrafée, les portes en bois massif des demeures du quartier Mazarin sont remplacées par des portes coupe-feu en particules assemblées à la résine synthétique. Les éléments de confort annoncés comme exceptionnels sont pour la plupart obligatoires, les jardins intérieurs et les patios ne sont souvent que des dalles sur parkings recouverts de 30 cm de terre engazonnée, les terrasses ensoleillées ne sont parfois que des balcons orientés à l’Est.

Les arguments avancés ne tiennent pas à l’examen, mais il n’y a pas tromperie : chacun peut constater sur les plans et les maquettes que l’orientation n’est pas celle indiquée, chacun sait ce qu’il faut penser de «l’ensoleillement judicieux» d’une chambre ouverte sur le Nord ; il n’y a pas tromperie lorsque «à quelques pas de la Rotonde» (opération Etoile-Mirabeau) veut dire à 750 mètres, soit l’équivalent de la traversée du centre-ville de la Rotonde à la place Bellegarde ; il n’y pas tromperie car cette supposée «élite» est capable de décoder le discours, de se satisfaire d’une adresse «prestigieuse». Il n’y a pas tromperie, il y a connivence sur un code de lecture de la ville et de l’architecture.

Le ton est évidemment différent d’une opération à l’autre : hédonisme patricien des investisseurs à Aix-en-Provence, conviviale austérité des pionniers à Tübingen. Pourtant, les mêmes «utopèmes» sont mis en oeuvre.

Quel futur urbain peut-on attendre pour ces quartiers en cours de réalisation ? A quelle urbanité fait-on référence ?

Dans le très pédagogique exemple d’Umberto Eco [140], le signifiant Cheval fait référence à l’animal, et le signifiant Licorne fait référence à l’animal mythique. Das französische Viertel et Sextius-Mirabeau font-ils référence à l’animal-cheval, à la Licorne, à Rossinante ou à quelque Hobby-horse ?

Dans ces nouveaux quartiers, l’île d’utopie n’est plus une île progressiste isolée d’un continent réactionnaire, c’est une marina ou plutôt un port de plaisance. Chaque bateau y flotte indépendamment des autres (mais sur la même cadence de clapot) tout en restant sagement relié au continent par les cables de l’énergie, par les alimentations en eau et en communications.

L’île d’utopie réifiée se suffit d’être une adresse : le nouveau quartier s’avérant finalement ‘«le seul convenable»’ 141 comme il l’était pour l’abbé Mouret. Car si l’utopie a souvent recours à l’architecture pour prendre corps et sembler s’installer dans le réel, l’architecture et la ville en revanche ne relèvent pas de l’utopie mais du symbole.

Notes
140.

[] Eco Umberto (1973), Le signe. biblio essais, Livre de poche, 1993.

141.

“Plassans est divisé en trois quartiers absolument distincts : le vieux quartier où vous n’aurez que des consolations et des aumônes à porter ; le quartier St Marc, habité par la noblesse du pays, un lieu d’ennui et de rancune dont vous ne sauriez trop vous méfier ; et la ville neuve, le quartier qui se bâtit en ce moment autour de la Sous-Préfecture, le seul possible, le seul convenable’. Emile Zola, la conquête de Plassans.