Un bâtiment de service

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Figure 54 - La Gare de Cergy-St Christophe (photo Conseil Général Val d’Oise)

Les gares, objets architecturaux nés pendant le seconde moitié du XIX° siècle, constituent un exemple riche de l’architecture-écriture. Les gares parisiennes (Gare du Nord, gare de l’Est, gare de Lyon, gare d’Austerlitz, gare d’Orléans, gare Montparnasse, gare Saint Lazare) sont écrites dans ce langage daté, à peine sorti de l’éclectisme napoléonien, qui découvre les capacités techniques de l’acier et du verre.

Ces gares sont reconnues aisément comme grandes gares parisiennes, avec leurs larges pignons de pierre appareillée, les grands pans de toiture à demi-vitrée, les charpentes métalliques de grande portée, et leurs courants d’air. L’identité de la gare de Lyon est lue et reconnue par son beffroi et sa grande horloge. En revanche, la gare du Nord, construite par l’architecte Hittorf en 1861-1863, a eu un tel succès que l’on s’est empressé de construire sa jumelle pour en faire la gare de l’Est. Cette ressemblance est troublante tant il est difficile de les différencier.

Si l’architecture des gares s’est naturellement adaptée aux exigences techniques nouvelles (comme celles des TGV), elle s’est adaptée également à une volonté nouvelle de séparer dans la ville les circuits piétons/voitures/autobus/trains/vélos. Cette séparation des flux de circulation a conduit les concepteurs à placer la gare de Cergy-Préfecture sous une place publique agréable, plantée, et bien animée. Pourtant, pour le visiteur ou le nouvel habitant, trouver la gare relève de la chasse au trésor : rien n’en signale la présence hormis quelques minuscules panneaux indicateurs. Lorsque qu’on se trouve sous le panneau «place de la gare» on n’a pas encore déniché pour autant l’escalier qui permet d’y accéder !

Avec finesse, talent et humour, l’architecte Philippe Deslandes a conçu à Cergy-Saint-Christophe une gare qui est lue comme la gare. Pourtant cette gare de Cergy-Saint-Christophe est souterraine. Mais l’architecte a mis en exergue ce qui est lu et reconnu comme un symbole de la gare : la grande horloge. L’horloge, très visible et lisible depuis le haut de la rue de l’Abondance, est «visée» le matin par les usagers qui, encore à demi-endormis, se pressent vers le RER, l’oeil rivé sur les aiguilles qui tournent inexorablement.

A la faveur de ces trois bâtiments remarquables, nous voyons que l’objet architectural est multifonctionnel : fonction spatiale et fonction symbolique se superposent au moins partiellement. La fonction spatiale n’est pas LA fonction d’un bâtiment à laquelle viendrait se surajouter quelque fonction symbolique plus ou moins superfétatoire.

Dans la Grande Arche, la fonction spatiale (abriter des bureaux) est contingente, la fonction de repère visuel est essentielle, la fonction symbolique (c’est l’adresse du ministère de l’Urbanisme) est seconde. La forme en arche, d’une dimension gigantesque (un cube de 50 mètres de côté) est clairement symbolique et se raccroche à l’Arc de Triomphe de l’Etoile et à l’Arc du Carrousel.

A Ronchamp, la fonction spatiale est double : abriter les fidèles, certes, mais surtout créer une ambiance, une atmosphère de recueillement dans la liturgie catholique. La fonction de repère visuel est évidente pour cette chapelle de pélerinage en haut de la colline. La formalisation est aisément lue, alors même qu’aucun sème «traditionnel» n’est utilisé.

A Cergy St-Christophe, la fonction gare est assurée en sous-sol. La fonction visuelle est assurée par une immense horloge devenue repère et symbole.

Une différence primordiale entre la langue parlée/écrite et le langage architectural réside dans son objectif. En architecture, on nous demande de créer un animal-cheval et pas seulement de dire «cheval» pour l’évoquer.

Lorsque le Maître d’Ouvrage nous demande un «cheval», il s’agit d’un /cheval/ nouveau et bien vivant, ou plutôt de créer un objet que le client peut appeler «cheval».

C’est alors au client de décrire ce «cheval» par une liste de lieux, de fonctions, de relations entre lieux, de données quantifiées définissant plus ou moins sommairement la géométrie des items, et dans le meilleur des cas le Maître d’ouvrage annonce le prix souhaité de ce futur /cheval/ encore inexistant.

Autre différence, l’architecte créé un cheval pour l’usage que le Maître d’Ouvrage veut en faire (consciemment et inconsciemment), et aussi pour l’usage qu’auront les usagers de la ville de ce bâtiment qui ne les concerne pas à priori, mais qui s’imposera à eux par son aspect, son impact économique, le trafic automobile induit, ou tout simplement par son existence même à cet endroit précis.

Enfin, en architecture, /cheval/ peut exprimer plusieurs signifiés, et «cheval» peut se dire avec des sèmes et morphèmes différents, nouveaux, inconnus.

Lorsque le Palais du Louvre devient Musée, c’est un cheval qui devient canard, et l’on dira qu’un musée (en Europe) est un ancien palais. La gare d’Orsay devenue musée est-elle donc un ancien palais princier ?

Comment ce langage si imprécis peut-il être compris ? Un consensus a bien dû s’établir sur quelques signes et codes.