9.2 La demande explicite, le non-dit, et la réponse

‘ ‘«J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.»’ ’

La bonne réponse ne vient pas toute seule, plusieurs essais infructueux sont nécessaires qui font perdre patience,

«Et je lançai :
- ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :
- c’est tout à fait comme ça que je le voulais ! »175

Rappelons-nous que le Petit Prince voulait préserver sa planète d’un éclatement dû à la prolifération des baobabs (la demande implicite), et qu’il avait trouvé comme solution de faire manger les jeunes pousses de baobab par un mouton (la demande explicite). Solution non sans inconvénients car les moutons mangent aussi les roses. Pour rabâché qu’il soit, le conte du Petit Prince n’en vient ici que plus à-propos : si le client n’est pas toujours roi et s’il n’est pas non plus le Petit Prince, il reste que derrière sa demande explicite se cache toujours une demande implicite qui, pour être deuxième, n’est pas seconde.

L’architecture est d’abord voulue comme une réponse à une demande spécifique, individuelle (publique ou privée) et unique (même si l’objet est multiplié). L’architecte - écrivain public et metteur en scène - écrit un texte dont le contenu (le sens général) et le support (le terrain) sont donnés par le Maître d’Ouvrage.

Ce texte n’est évidemment pas isolé d’un contexte, il est situé en dialogue avec d’autres textes préexistants (l’environnement, proche et/ou lointain) et constitue lui-même un point d’appui pour d’autres textes à venir. Ce texte s’écrit à l’intérieur de limites quasiment infranchissables : les contraintes financières, techniques et réglementaires, les contraintes de la demande formelle déterminée par la mode, les contraintes de «l’architecturalement correct». Demande, contexte et contraintes constituent ainsi un champ rigoureusement borné et clos, bien plus prégnant que celui qui enserre le poète.

L’architecture ne s’écrit pas comme le livre sous l’impulsion univoque de l’auteur, mais elle est initiée par la commande - privée ou publique - du Maître d’Ouvrage, qui n’est d’ailleurs pas forcément l’usager. Le rapport générateur d’architecture tient dans la relation client-architecte : le premier formulant une demande au second et le chargeant d’apporter une réponse, la plus adaptée possible, à sa demande.

Pour examiner la réponse, il convient donc impérativement de définir la demande.

Notes
175.

Saint Exupéry - Le petit prince - p.14, Editions Gallimard - 1946