10.3 Le cycle sémiotique de la ville

L’édile qui pense sa ville (conçoit un projet pour sa ville) s’appuie sur sa propre représentation de sa ville, une représentation nécessairement réductrice puisqu’elle lui est personnelle. Cette représentation se fonde également sur sa connaissance et sa représentation de la ville en général. De la même façon, celui qui «écrit» l’urbanisme construit aussi sa part de création à partir de sa propre représentation de la ville.

D’autres interventions en ‘feedback’ s’imposent à chaque niveau de l’édifice.

Il suffit d’une grève de métro et de bus pour que la ville prenne un autre visage car se mettent alors en oeuvre de nouvelles interactivités et de nouvelles approches du milieu urbain. L’attrait d’un quartier ne tient pas qu’à l’esthétique des formes urbaines et peut basculer pour des raisons de «carte scolaire» : une étude menée dans le Val d’Oise a montré que‘ ’ ‘«chaque point de moins dans le pourcentage de réussite en cinquième entraîne une dépréciation de la valeur immobillière moyenne de 10 800 francs par logement»’ [195]. L’usage du Roller, passé en l’espace d’une dizaine d’années du statut de mode à celui de pratique institutionnalisée par un code de bonne conduite et des réglements, a transformé la ville car il en procure une perception différente. C’est une autre relation kinesthésique qui se met en place : le contact avec le sol, bien différent que dans la marche, est fait de sensations de douceur, de granulation, ou de vibration, la pente du sol est favorable ou dangereuse, le vent de la vitesse est grisant. C’est aussi une autre relation avec les passants qui s’instaure. C’est enfin une autre relation au «temps qui passe» avec la vitesse de déplacement : la ville change d’échelle. Cette mode du roller n’est pas née ex nihilo à une date indéterminée : elle est produite par une nouvelle conscience de l’espace urbain, une nouvelle volonté de pratiquer cet espace, et le politique qui «pense» sa ville ne peut faire l’impasse sur cette transformation.

C’est ainsi que le politique, l’urbaniste, l’architecte, l’usager, chacun pense la ville et agit sur la ville à partir de la représentation particulière dont elle fait l’objet. Toute intervention sur la ville (sur le ‘hard’ comme sur le ‘soft’) est bien une médiation, une dialectique entre singulier et collectif.

Notre édifice sémiotique de la ville n’est donc pas une immuable construction : cet édifice semble plutôt fonctionner en cycle196 car c’est une série de nouvelles transformations successives qui produit et re-produit sans cesse la ville.

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Figure 62 - Le cycle sémiotique de la ville

Le réel de la ville, l’Habiter, se fonde sur la pratique sociale dans la relation (‘la confrontation’ selon Olivier MONGIN) entre la représentation (l’image de la ville) et la ville-instrument. La ville-instrument n’a pas d’autre intérêt, de but, que d’être habitée. D’une façon ou d’une autre. L’Habiter fait naître l’imaginaire qui produit la ville.

Nous représenterons ci-dessous la place de l’imaginaire (l’imaginaire-bâtisseur ?) dans le cycle sémiotique de la ville :

Vitruve Muntañola Thornberg Edifice sémiotique Cycle sémiotique
1 Projeter Préfigurer Concevoir Concevoir
2 Construire Configurer Aménager Aménager
3 Habiter Refigurer Habiter Habiter
4 Imaginer

La fonction sémiotique de chaque calque est bien démontable, racontable sur le schéma de Hjelmslev. Mais c’est par la transparence des calques que l’on peut envisager de saisir la ville. La signification est produite par ces transformations successives d’un calque à l’autre. Quelle que soit la forme du discours des édiles et aménageurs, la ville, modelée par ses acteurs l’est aussi/surtout par ses usagers/spectateurs197.

Notes
195.

[] PEILLON Pierre (2001). ‘Utopie et désordre urbains’. La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube (p. 174)

196.

Un peu à la manière du cycle de l’azote qui nous fascinait à l’école primaire

197.

Quel est le réel de Pompéï ? conçue sur une volonté politique, avec des règles d’urbanisme, Pompéï a été bâtie pour être vécue selon une vision du monde spécifique. Elle est maintenant vécue selon une multiple pratique patrimoniale, historique, émotionnelle, culturelle, touristique qui lui donne sa nouvelle réalité.