12.1 Morphologie

La structuration de l’espace par les données «naturelles» (bord de mer, rivière, colline) ou fabriquées (boulevard autoroutier, rempart, parc) marque la progression (l’extension) de la ville, rythme la progression dans la ville et rythme le fonctionnement de la ville. Lors des périodes d’extension, le franchissement de limites fortes est toujours réalisé brusquement, dans un laps de temps très court, à l’issue duquel la ville retrouve un stade de consolidation où s’établit un nouveau rythme.

Ainsi, à Tübingen, des données morphologiques naturelles fortes ont constitué une matrice structurante : le Neckar et le flanc sud du parc naturel de Schönbuch, les deux collines de l’Osterberg et du Spitzberg, les confluents multiples du Neckar avec les ruisseaux. Une organisation urbaine s’est installée dans cette forme acceptée, dans une négociation avec le site préexistant. Le développement démographique de la ville s’est fait lentement à l’intérieur de l’enceinte qui peu à peu devient un carcan. La «vie» de la ville nécessite alors de dépasser les limites données comme le poussin brise sa coquille. Dans cette nouvelle phase, le franchissement du Neckar n’est plus un acte «hors la ville» que l’on pratique exceptionellement, c’est au contraire par un passage quotidien de la rivière qu’elle s’intègre à la ville. La ville devient alors «la vieille-ville» dans une nouvelle organisation.

Lorsque les villages limitrophes sont phagocytés en 1971, la ville prend encore une fois une autre taille, une autre densité, une nouvelle hétérogénéité. La «vieille-ville» acquiert le statut supplémentaire de centre-ville. Un nouveau rythme est donné à la ville, maintenant constituée d’un centre historique avec son extension immédiate et d’un tissu formé de plusieurs petits noyaux organisés le long des voies de circulation et séparés les uns des autres par des espaces «naturels»ou cultivés. Le réinvestissement du Französisches Viertel donne l’occasion de structurer toute la partie de la vallée au sud de la ville.

Aix-en-Provence n’est pas marquée par une topologie contraignante. Au XVII° siècle, la ville explose une première fois avec la création rapide du Quartier Mazarin, prend un nouveau rythme, et le garde pendant 300 ans. Aix-en-Provence explose à nouveau en 1962 avec l’arrivée brutale de 15000 rapatriés d’Algérie : la construction de la ZUP (Encagnane) est lancée rapidement comme un quartier excentré, coupé du centre. La conscience de l’exclusion de ce greffon amène à proposer l’aménagement d’une zone de 20 hectares nommée Sextius-Mirabeau dans le double but de créer une liaison quartiers neufs/centre ancien et d’élargir la ceinture urbaine. La réalisation débute en 1990.

Aix n’est pas marquée par une topographie naturelle particulière, la montagne Sainte Victoire n’est qu’un repère lointain et rarement perceptible depuis la ville, le site urbain est celui fabriqué (centre médiéval, autoroutes, Zup, etc.).

En revanche, les deux collines, le front bâti dominant le Neckar, le passage obligé du pont, la vieille ville encapsulée encore malgré la suppression des murailles, ne constituent pas (seulement) un joli décor, mais une trame prégnante sur laquelle se tisse la vie quotidienne à Tübingen et à partir de laquelle se développe l’agglomération.

L’usager à Tübingen est situé dans un rapport permanent de verticalité aux deux collines, l’Osterberg et le château de Hohentübingen. En revanche, l’usager d’Aix-en-Provence qui se déplace sous les gênoises ne perçoit que par instant les accents verticaux de quelques rares clochers.

Le déplacement sur le plan incliné du site d’Aix se fait dans un continuum qui atténue la perception de la pente, alors que passer de Südstadt au centre-ville produit une forte modification de la démarche.

Hormis la cadence que la topographie impose au cheminement, le rythme de la troisième dimension joue dans la ville un triple rôle :

  • la mise en évidence de repères (les Landmarks identifiés par Kevin Lynch)

  • le marquage de l’emprise de la ville dans l’espace

  • et enfin, il permet de «voir» la ville.

Si la ville moderne (Manhattan ou La Défense) est verticale, déjà la verticalité s’exprimait - certes sous des motivations différentes - à San Gimignano, forçant le citadin à lever le regard, et donnant dans l’espace les signes de la ville. L’horizontalité presque parfaite de Grenoble lui confère un caractère particulier d’autant plus marqué qu’il vient en opposition avec les montagnes qui l’entourent.