Profession : metteur en ville

Le rôle de l’aménageur (architecte, urbaniste, maître d’ouvrage) dans la ville est d’organiser l’‘Urbatexte’. L’action porte certes directement sur le concret (tel objet à tel endroit) que nous avons appelé le ‘hard’, mais consiste également à intervenir sur le ‘soft’, c’est à dire établir les relations entre objets, les relations entre syntagmes, les relations entre les relations. L’aménageur constitue le rythme de la ville. Le rythme pris, non pas comme la métrique du métronome, mais, selon la définition de Pierre Sauvanet comme un des binômes possibles dans la triade ‘structure/périodicité/mouvement’. Cet effet de rythme, participant du caractère de la ville, se compose de plusieurs rythmes interdépendants et superposés à partir desquels nous proposons de constituer un outil d’intervention sur la ville, l’agglomération, l’aire urbaine. Le rythme intervient dans la ville comme ‘discours du signifiant’ (Henri MESCHONNIC) [267], dans une organisation du temps et de l’espace chargée d’exprimer, de mettre en formes et en potentialités, la vie urbaine selon une conception de la société.

La cité, plus qu’un discours, est un théâtre. Car comme au théâtre, le rapport entre texte et scène n’est jamais à sens unique : le texte produit la scène et contient une potentialité de théâtralité, et à l’inverse, la scène produit le texte car elle le complète.

Les documents d’urbanisme ne seraient-ils que les didascalies de la Comédie Urbaine ?

Dans cette situation et dans ce rôle, l’architecte et l’urbaniste échappent (enfin) à la stature démiurgique du génial concepteur et sont investis d’une mission duelle : l’écriture des didascalies du projet de politique urbaine pour la mise en scène de la vie urbaine.

Les didascalies ne présupposent pas nécessairement un texte-support à partir duquel elles seraient élaborées afin de le servir : il leur suffit d’une idée, d’une émotion. C’est uniquement avec des didascalies que Peter HANDKE [268] a écrit une chorégraphie non dansée (une poésie en prose ?) qui définit et produit un espace public parfaitement réel : ‘«A l’heure où ne savions rien l’un de l’autre»’ se croisent et se confrontent, se ’draguent’ ou s’ignorent, s’isolent ou se mêlent, ces acteurs et spectateurs qui, ensemble et dans l’interdépendance, ‘font ’la ville.

Le rapport du corps à l’espace et au temps, c’est la danse naturellement, mais c’est aussi la ville.

Notes
267.

[] MESCHONNIC Henri (1982) Critique du rythme, anthropologie historique du langage. Lagrasse, Verdier. (p. 705)

268.

[] HANDKE Peter (1988) L’Heure où ne savions rien l’un de l’autre, Paris, L’Arche