Une pédagogie de l’urbain

La ville n’est pas, nous l’avons vu, une simple juxtaposition de services, de réseaux, de bâtiments. La ville est bien à la fois l’expression et l’embrayeur d’une vie sociétale dans une culture et dans un site.

Le projet urbain est d’abord un projet de société auquel on a accès au travers de la matérialité, c’est un potentiel relationnel offert : la matérialité urbaine n’est qu’une partie du signifiant du projet urbain. ‘«Le mode ancien de production des villes est devenu une langue morte’» (Françoise Choay [269]), et il nous revient de mettre en place un langage qui rende compte du sens que nous voulons donner aux villes.

Ainsi, dans les écoles d’architecture, faire un projet ‘«à la manière de ...»’ n’a de sens que si, en amont de l’exercice de style, on a appréhendé les causes et le contexte dans lequel cette architecture (ou ce «morceau de ville») a été faite. Imiter (singer) Loos, Le Corbusier, Palladio ou Peter Eisenmann n’est intéressant - dans une gymnastique pédagogique - que pour comprendre leur démarche poïétique, leur position, leur engagement, et en tirer enseignement pour notre propre production. Nous nous attacherons, au delà du rapport signifié/signifiant, (le rapport sémantique entre la forme architecturale et le signifié), au rapport pragmatique - direct ou médiat - entre l’objet (la ville, l’objet architectural) et l’usager. Car l’architecture, l’architecture de la ville, la ville, l’Urbatexte, n’est pas seulement ‘cosa mentale’.

Une démarche préalable de recherche sera naturellement d’affiner cet outil du Rythme urbain en vue de le rendre opérationnel. On s’attachera ensuite et en première urgence aux périphéries des villes anciennes : ces espaces «équipés» mais non «urbanisés» que sont les «grands ensembles» et les lotissements tant déplorés par Julien GRACQ [270] où ‘«la notion de cité s’efface au profit de l’image d’une vague densification humaine cancéreuse....».’

Les «grands ensembles» sont apparus sous l’impérieuse nécessité de la reconstruction et de la pression démographique. Plusieurs générations de «tours et barres» se sont succédées, tous les 10 ans, avec des attentes et des technologies très datées. Au début des années 90, il était du dernier chic de détruire quelques tours dans un quartier défavorisé pour (se) faire croire qu’une démarche d’urbanisation était en route. L’expérience montre qu’il s’agirait plutôt de réinscrire un rythme urbain dans la métrique des chemins de grues : de créer les potentialités du fait urbain (l’urbanité) par les fonctions, les rapports d’échelle, les cinq sens, et notamment un travail sur le vent. L’instrumentation des 7 éléments du rythme urbain permettra d’intervenir sur ces «zones» pour en faire des morceaux de ville.

Nés de façon informelle avec la révolution industrielle, puis codifiés, les lotissements constituent le mode le plus utilisé de production de terrains à bâtir et se développent avec l’engouement général confirmé pour la maison individuelle avec son jardin. Le lotissement pose radicalement le problème de la possibilité d’urbanité pour des parcelles «individualistes» dont l’espace commun ou public est ressenti comme un coût superflu. Le paradigme de la rue, symbole d’urbanité, disparaît. Est-il obsolète ? D’autres questions affluent : Quelle signification d’urbanité pour le lotissement ? Quelle est l’attente spécifique de ceux qui désormais sont nommés «colotis» ? Le lotissement peut-il devenir un quartier, a-t-il pour ambition de le devenir ? Quelle dimension culturelle peut impliquer le lotissement ? Et finalement, si l’on pose que le lotissement a pour vocation de constituer un morceau de ville, comment se situe l’intervention de l’architecte, du législateur, des colotis ? Souvent décrié dans ses manifestations actuelles par les architectes, plébiscité par les usagers, le lotissement justifie, en raison de son impact, une recherche de grande envergure sur les attentes qu’il porte, sa réalité sociologique, une analyse des méthodes de réalisation du lotissement et de son insertion dans la ville ou l’aire urbaine.

Notes
269.

[] CHOAYFrançoise, (1965). L’urbanisme, utopies et réalités.Paris, Editions du Seuil (p. 78)

270.

[] GRACQ Julien (1985). La forme d’une ville. Paris, José Corti (p. 126)