Amphitryon 38

représenté pour la première fois à la Comédie des Champs -Élysées le 8 novembre 1929, avec la mise en scène de Louis Jouvet.

Le nom de la seconde pièce de Giraudoux, présentée en novembre 1929 à la Comédie des Champs - Élysées, était familier: il rappelait l'Amphitryon de Molière parfois représenté à la Comédie Française. En ajoutant ce 38 d'une pédante précision au titre illustré par Plaute, par Molière ou Kleist, son auteur affirmait qu'il allait traiter à sa propre façon un thème porté par une longue et pesante tradition -entreprise difficile mais provoquante.

Pour cette pièce en trois actes, un lieu unique, le palais d'Amphitryon, mais le premier et le troisième actes se déroulent en plein air, sur une terrasse, le second se passe dans la chambre d'Alcmène. L'action dure vingt-quatre heures, d'un soir à un autre soir, avec deux entractes qui symbolisent les "nuits".

Le premier acte, placé sous l'invocation nocturne de Sosie, mène à la nuit véritable, la rencontre d'Alcmène et de Jupiter qui a pris l'apparence d'Amphitryon. Le second acte éclate en un lever de soleil, "à sept heures du matin"... et s'achève au milieu du jour sur l'entracte d'une fausse nuit, rencontre truquée dans la chambre des erreurs. Le troisième acte referme la boucle sur cette journée divine et folle : c'est le soir suivant, sur la même terrasse. Mais, selon la légende, en dépit d'Alcmène et grâce à elle naîtra le petit Hercule.

L'enjeu du premier acte est d'amener Jupiter dans le lit d'Alcmène. En quelques scènes, l'affaire est divinement réglée. La rencontre consommée et la nuit achevée, le second acte imagine un redoublement de l'épisode, non plus clandestin mais cette fois annoncé. La fidélité menacée d'Alcmène se manifestera devant cette tentation avec autant de force que, dans le premier acte, son amour, - trop confiant,- pour Amphitryon. Par vaine précaution, elle met son époux dans le lit d'une autre (la reine Léda) : comme dans le vaudeville, l'adultère résulte du quiproquo, l'échange de la méprise. Après l'adultère inconscient, c'est l'acte de l'adultère involontaire. Alcmène, qui est le mobile, devient même l'instigatrice. Mais la nuit officielle n'aura pas lieu. Au troisième acte, malgré la voix céleste qui annonce les exploits du futur Hercule, malgré les cortèges qui se préparent à accueillir le maître des dieux, Alcmène et Amphitryon refusent l'aventure, jusque sous la menace de Jupiter. Pour le persuader de ne pas introduire le divin dans son couple, Alcmène lui offre l'amitié humaine. Jupiter, par compassion et tendresse, feint de renoncer à cette rencontre et doit pour cela se priver de sa nuit "officielle".

Après cette description sommaire de l'intrigue d'Amphitryon 38, passons à la question de la quantité de texte prêtée aux héros et aux héroïnes de la pièce. Alcmène est la favorite de l'auteur, malgré le titre, puisqu'il lui consacre la plus grande partie de texte (913 lignes). Jupiter suit avec une différence importante (549 lignes) et le rôle de Mercure semble aussi riche en propos que celui de Jupiter (519 lignes). Par contre, le personnage d'Amphitryon paraît un peu silencieux, doté de 192 lignes de texte, ce qui l'éloigne sensiblement des trois autres protagonistes. Léda (139), Éclissé (131) et Sosie (120) vont de pair dans la conception de leur créateur tandis que la partie assumée par le Trompette (101) se montre plus volubile que celle assumée par le Guerrier (60). la danseuse (9 lignes), la Foule (6 lignes), l'écho (3 lignes) ainsi que la voix d'un esclave (2 lignes) sont presque dépourvus de paroles. Seule la Voix Céleste profite d'un texte un peu plus long (16 lignes).

Pour la distribution des rôles au sein des duos, Alcmène est nettement la meneuse de jeu, la chef d'orchestre puisqu'elle participe à neuf duos sur les treize. Elle a de longues entrevues avec tous les personnages principaux : Amphitryon, Jupiter, Mercure, Léda, Ecclissé. En outre, même si la grande confrontation de la pièce repose sur deux personnages des sexes opposés, Alcmène et Jupiter, un des plus longs duos se développe entre deux personnages féminins, Alcmène et Léda (245 lignes). Notons que Léda ne fait qu'une seule apparition dans la pièce (Acte 11, scène 6) mais assez prolongée. En outre, le total de la conversation entre Alcmène et Amphitryon (452 lignes) est beaucoup plus restreint que celui entre Alcmène et Jupiter (692). De même, le face à face d'Alcmène et de Mercure est notablement abrégé (236 lignes), tandis que le total des entretiens de Mercure avec Jupiter dure beaucoup plus longtemps (425 lignes).

On passe à présent aux remarques que l'on peut faire en s'appuyant sur le classement qui mesure les apparitions de chaque personnage. Alcmène en a la part le plus importante puisqu'elle est présente dans les trois actes et dans presque toutes les scènes. En somme, elle prend part activement à treize scènes sur les dix-neuf de la pièce et ne garde le silence que dans une seule scène (Acte III, scène 4). Jupiter et Mercure se partagent la deuxième place puisqu'ils apparaissent également dans tous les actes et dans huit scènes sur dix neuf. Amphitryon manifeste la même fréquence d'apparitions que la nourrice Ecclissé: tous deux se présentent cinq fois dans les dix neuf scènes de la comédie mais dans des actes différent car Amphitryon intervient dans l'acte premier et troisième. Sosie l'emporte sur Léda en se montrant dans le premier et le dernier acte, dans une scène chaque fois, alors que Léda apparaît une seule fois dans l'acte premier. Parmi les personnages secondaires, qui ne sont pas exactement des caractères qui agissent dans l'intrigue, mais plutôt des "messagers", véhicules d'indications, la Voix Céleste est celui qui apparaît le plus fréquemment : quatre fois dans l'acte dernier de la pièce. Le Trompette surgit deux fois dans le premier et le troisième acte respectivement et Le Guerrier une seule fois dans la deuxième scène de l'acte premier.