Intermezzo

représenté pour la première fois au théâtre Louis Jouvet (Comédie des Champs -Élysées), le mercredi 1er mars 1933.

Intermezzo -déclarait l'auteur aux journalistes - est un intermède entre deux œuvres plus importantes, "entre une tragédie et une autre tragédie" 6 .

‘"Un intermède entre deux faits graves, pour le spectateur, puisqu’il n’y est question ni de politique, ni des finances, ni d'aucun de ces graves problèmes qui font que la vle actuelle semble lourde à vivre" 7 . ’

Ce titre pouvait également évoquer 1 Intermezzo, dans Faust, un texte de H. Heine, et souligner ainsi l'influence des écrivains romantiques ou fantastiques allemands 8 . De plus, par cette référence explicitement musicale, Giraudoux annonçait l'entrée de la musique dans son architecture dramatique 9 .

Sorte de féerie moderne, Intermezzo a pour cadre une ville de province. Séparés par une quinzaine de jours -entre le 15 juin et le 1er juillet -, les deux premiers actes se déroulent, en fin d'après-midi, dans une campagne française. Le troisième se passe le lendemain, dans la chambre de la jeune fille.

Lepremier acte noue les fils assez compliqués de l'intrigue. La présence d’un mystérieux jeune homme, que tous dans le village - le Maire, le Droguiste, Isabelle et ses jeunes élèves - irnaginent être un spectre, provoque l'enquête d'un Inspecteur. Son rationalisme borné, qui se heurte à l'enthousiasme chevaleresque du jeune Contrôleur, refuse de croire à toute forme d'apparition surnaturelle. Dans une fureur grotesque, l'inspecteur fait passer un examen à la classe d'Isabelle. L'acte s'achève par la première rencontre de la jeune fille et du mystérieux "spectre" - toute entière consacrée à une amicale spéculation sur les morts et la mort.

Le second acte oppose des interprétations contradictoires. Le Contrôleur, amoureux d'Isabelle, cherche à détourner la jeune fille de son rendez-vous nocturne. Tandis que deux bourreaux concurrents reçoivent mission de tirer sur le criminel simulateur - dans son univers la jeune fille s'entretient du royaume des morts avec son spectre. Au moment où, peut-être, il va lui avouer.qu'il est vivant, il tombe, touché à mort. L'inspecteur et son rationalisme triomphent, dans une banale histoire policière Mais, s'élevant au-dessus du cadavre, le spectre donne un nouveau rendez vous à Isabelle : le mystère poétique renaît de l'épisode prosaïque.

Le troisième acte convoque tous les personnages autour d'Isabelle pour une ultime rencontre. Le Contrôleur vient lui demander sa main. En champion de la vie et des vertus du fonctionnaire contre les séductions de l'au-delà, il affronte le spectre qui entraîne Isabelle. Il faut tous les bruits de la petite ville et de la vie pour la ramener dans l'existence banale et heureuse. L'intermède est fini.

La première liste prise dans la lecture tabulaire fait le décompte du nombre de lignes attribué aux personnes fictives de notre histoire. Dès le début, nous sommes devant une constatation frappante; dans cette pièce féerique et vague, la première place du répertoire n'est occupée ni par la romantique Isabelle ni par le "brouillard" Spectre mais le par le réaliste Inspecteur (548 lignes). Vient ensuite, et avec une différence considérable (462 lignes) le Contrôleur, une figure qu'on ne peut pas déterminer en tant que rationaliste bornée mais qui, en tout cas, s'aligne avec les pragmatiques dans cette intrigue de rêveries et de visions. L'héroïne fragile, Isabelle, même si elle se trouve au centre des désirs et des actions de la plupart des autres protagonistes, n'est que troisième avec 399 lignes de texte. Toutefois, elle est secondée d'une façon touchante non seulement par le chevaleresque Contrôleur qu'on a déjà présenté mais également par le caractère aimable du Droguiste (310 lignes). Il connaît parfaitement tous les aspects conventionnels de la société humaine, mais il admet pourtant qu'il y a toujours des forces surnaturelles qui échappent à nos bornes. Vient ensuite un autre représentant pur de l'ordre et de la "sécurité", le Maire avec 198 lignes. Enfin, origine des troubles dans cette petite ville provinciale, Le Spectre. Il n'est pas bavard (122 lignes) mais son apparition ou sans doute son illusion est suffisante pour provoquer des maux de tête à tous les citoyens respectables et loyaux. Caricatures pittoresques mais typiques d'une mentalité entière, les vieilles filles Armande Mangebois (90 lignes) et Léonide Mangebois (48 lignes) sont en conflit direct avec la fraîcheur de la jeunesse : les Petites Filles, élèves d'Isabelle : Luce (25 lignes), Gilberte (15), Viola (15), Daisy (15), Irène (5) et Denise (5).

Le total des grands duos nous dévoile les dualités suivantes: il y a deux longs duos entre Le Contrôleur et Isabelle, 193 lignes pour chacun d'eux et il y a de même deux duos mais manifestement plus courts entre Le Spectre et Isabelle, 88 lignes pour l'un et 84 pour l'autre. À part les duos amoureux, Isabelle communique aussi facilement avec le Droguiste deux fois, 57 et 54 lignes. Les duos oppositionnels du Maire avec du Droguiste (121 lignes au total) et du Contrôleur avec Le Spectre, les deux adversaires principaux, présentent un intérêt particulier même si ce dernier semble plutôt pauvre en propos (43 lignes). En conclusion, entre les duos prononcés par les mêmes interlocuteurs, le couple Isabelle -Contrôleur (386 lignes de texte dans l'ensemble) excelle en comparaison avec celui d'Isabelle et du Spectre (172 lignes). Une telle remarque nous permet de supposer que finalement le débat entre le tangible et l'intangible n'est pas tellement féroce, selon Giraudoux. Quoi qu'il en soi, Isabelle participe à 6 duos sur 9, son "confident" le Droguiste, qui agit comme une sorte d'entremetteur entre le rêve et la réalité, participe à 4 duos sur 9, tandis que les rivaux, le Contrôleur et le Spectre prennent part à 3 duos chacun.

L'étude des apparitions scéniques nous conduit vers d'autres pistes de réflexion. Le personnage du Droguiste est le plus présent dans la pièce puisqu'il offre 14 apparitions. Plus particulièrement, sa présence est accentuée dans les actes I (scènes 1, 2, 3,4, 5, 6, 7) et II (1, 2, 3, 4, 8) alors qu'elle est moindre dans l'acte III (scènes 2, 6). Isabelle, Le Maire et le Contrôleur occupent la deuxième place avec 12 apparitions chacun. L'influence de l'Inspecteur est assez soulignée (9 apparitions distribuées de manière égale dans les trois actes) mais le Spectre apparaît juste 5 fois surtout dans l'acte II (scènes 6, 7, 8). Pouvons-nous envisager une nouvelle défaite de la métaphysique chez Giraudoux ?

Notes
6.

cahiers Jean Giraudoux, no 19; pp. 79 et 83, pp. 95 et 98. Explication insuffisante: jamais la seconde tragédie ne fut écrite. Le nom -Brutus - et même le sujet semblaient pourtant choisis. : Cahiers Jean Giraudoux, N° 19, p.. 157.

7.

'Cahiers Jean Giraudoux, N° 19, p.. 98.

8.

Sur l'interprétation allemande, l'édition critique de C. Weil; et J. Body, Giraudoux et l’Allemagne, pp.348-352.

9.

En demandant à Francis Poulenc un accompagnement musical original, l'écrivain allait inaugurer une fructueuse collaboration avec les musiciens lors des pièces suivantes: Maurice Jaubert, Victor Rietti ou Henri Sauguet. Jean Giraudoux, Théâtre complet, Le livre de poche, Paris, 1991, p..1127.